Les combats dans l’Est de l’Ukraine continuent à faire des morts et des blessés, tous les jours. Le froid et la neige compliquent les conditions de vie… en France, FUSA s’organise pour faciliter le quotidien des soldats ukrainiens sur la ligne de front. Les bénévoles de FUSA ont accepté de répondre à nos questions :
IN : FUSA, vous êtes une jeune initiative, créée il n’y a pas très longtemps, quelle est votre histoire ? D’où vient l’idée et comment tout à commencé ?
FUSA : Nous avons tout de même 2 ans d’existence, bien que la présence sur les réseaux sociaux (Facebook notamment ) date d’il y a un peu plus d’un an.
L’idée est simple. Nous avons tous perdu des proches dans cette guerre et nous ne voulons plus participer à des obsèques. A partir de là, nous avons poussé la réflexion et c’est ainsi que FUSA est née: centraliser et accentuer de l’aide non létale aux soldats, et surtout répondre aux besoins spécifiques de ceux-ci.
IN : Comment vous définir : comme une association, une ONG ? Publiez-vous des bilans, des comptes-rendus ?
FUSA :Nous sommes des volontaires groupés autour de FUSA, que nous qualifierons plus d’initiative que d’association. Chacun aide en fonction de sa disponibilité et de sa situation.
Nous avons des donateurs, mais pas seulement, nous avons toujours besoin de gens pour donner des coups de mains afin de transporter du matériel, de traduire des textes ou encore des compétences en matériel militaire afin de mieux appréhender les besoins. Nous avons pu par exemple faire une version ukrainienne de la page FUSA, grâce à quelques traducteurs volontaires.
Concernant les comptes-rendus, nous publions un premier rapport lorsque le matériel est acheté (que ce soit en Ukraine ou en Europe), puis un second lorsque celui-ci est distribué.
Nous publions un bilan d’activité tous les ans (ici celui de 2015 ), celui de 2016 paraîtra dans les premiers jours de 2017 mais on peut d’ores et déjà dire qu’il sera très supérieur à 2015, c’est qui est positif.
IN : Quelle aide apporte FUSA, et à qui en Ukraine cette aide est-elle destinée ?
FUSA : Nous apportons une aide non létale exclusivement, nous ne sommes pas là pour pousser à la guerre. La plupart de notre aide s’articule autour de 3 axes :
– la protection du soldat (gilet et masques balistiques, porte-plaques, casques, gants tactiques etc…), et son confort (sacs tactiques adéquats, chaussures de qualité, tenues anti-infrarouge, équipement pour l’hiver…)
– le domaine médical est également une priorité absolue. C’est ainsi que nous avons équipé des médecins militaires de brancards adéquats, de trousses « ifaks » (trousses militaires de premiers secours), d’antalgiques mais aussi des sacs médicaux qui sont en dotation chez les Navy Seals américains et qui équipent dorénavant de nombreuses unités de l’armée ukrainienne.
– Le domaine technologique : nous avons fourni de nombreux optiques comme des lunettes de visées, du matériel de vision nocturne, des jumelles militaires pour détecter les snipers ennemis et enfin des jumelles de vision thermique. Ce matériel est particulièrement onéreux et ces projets mettent du temps à se concrétiser. Aussi, nous aimerions nous concentrer sur ce genre de matériel, mais les besoins « basiques » restent tellement importants que nous ne pouvons nous le permettre
IN : Comment fonctionne FUSA, que faites-vous pour récolter des fonds, transporter et distribuer du matériel sur place ?
FUSA : Nous fonctionnons avec les mêmes équipes depuis 2 ans, celles-ci ont toute notre confiance. Nos partenaires en Ukraine vont directement sur le terrain en zone ATO au contact même des soldats. Ils évaluent les besoins et le bien fondé de ceux-ci de sorte que nous ne partons pas sur des projets superflus. Ensuite, ils évaluent la quantité et à combien peut se trouver ce matériel en Ukraine pour nous faire remonter l’information. Il faut savoir que chaque projet demande un temps énorme de préparation pour coller au plus près des besoins du front, car les exigences militaires sont très particulières. Il faut connaître les spécifications requises pour son utilisateur final. Une paire de jumelle, mais quelle portée ? Un viseur, mais quel support ? Des chaussures, des gants mais quel usage ? Une vision thermique, mais pour quelle type de mission ?
Il est important de connaître ces informations afin de ne pas se tromper et de monopoliser de l’énergie et des fonds pour rien. Car nos moyens ne sont pas illimités malheureusement…
Nous ne cherchons pas forcément de nouveaux partenaires pour ne pas nous disperser et ainsi perdre en efficacité. Au niveau des dons, nous avons notre propre réseau de donateurs qui donnent ce qu’ils veulent comme ils peuvent, ou alors nous utilisons la plateforme de vente Support4Ukraine pour vendre toutes sortes de choses comme des drapeaux, des écussons ou des tee-shirts afin de récolter de l’argent. Il a fallu apprendre à se réinventer constamment pour ne pas « lasser » au bout de 2 ans.
Pour le transport, ce qu’il faut retenir, c’est que nous avons la main sur l’ensemble de la chaîne, qui peut passer par la route comme par avion, de sorte que nous pouvons contrôler et savoir où se trouve le matériel à tout moment. Pour la distribution, celle-ci se fait uniquement dans la zone ATO ou dans les bases de l’armée ukrainienne. Nous ne distribuons rien hors de ce cadre. Ensuite, un rapport photo nous est envoyé avec le nombre de choses distribuées et l’unité bénéficiaire. Même les membres français de FUSA font plusieurs séjours par an en Ukraine, en particulier dans l’Est du pays, afin de pouvoir appréhender au mieux la situation et les besoins.
Le plus bel hommage à l’initiative FUSA c’est de voir que des unités se lèguent les unes aux autres le matériel qu’on leur a donné au fil des rotations, c’est parfaitement l’esprit que nous voulons insuffler.
IN : Cette activité est complexe à mettre en place, êtes-vous aidés par d’autres associations, ambassade, entreprises, particuliers ?
FUSA : Nous avons au fil des années noués des partenariats avec des groupes de volontaires ukrainiens, mais aussi internationaux. C’est ainsi que nous avons fait plusieurs opérations communes avec des groupes lituaniens, américains, allemands ou encore norvégiens. Il est très important pour nous de tisser ce genre de réseau car cela améliore grandement l’impact de notre aide et notre capacité à lever des fonds. Nous nous entraidons tous autant que nous le pouvons. Nous sommes en contact avec l’ambassade d’Ukraine en France et nous essayons de mettre en place des opérations avec leur aide au travers de son attaché militaire. La plupart de nos soutiens sont des particuliers bien que certaines entreprises nous délivrent du matériel à prix réduit, mais elles préfèrent rester discrètes sur la chose.
IN : Y a-t-il des difficultés et quels souhaits FUSA pourrait exprimer, afin de développer davantage son activité de soutien à l’armée ?
FUSA : Les distributions sont parfois des missions périlleuses. La dernière livraison s’est passée sous le feu ennemi à Marinka. Nous sommes en zone de guerre, il faut donc des personnes calmes et responsables, capables de réagir convenablement afin de ne pas mettre en danger les autres volontaires ou les soldats.
De nombreuses personnes nous contactent et participent à un niveau varié, de l’acheminement, à la livraison ou pour financer un achat spécifique. L’une des raisons de notre grande cohésion, résulte probablement du fait que nous connaissons tous les gens qui aident et suivons l’acheminement de l’aide du début à la fin.
Nos souhaits futurs seraient de rencontrer un écho plus important au sein de la diaspora française, parfois trop timide sur la question, bien que des initiatives similaires existent (Fraternité ukrainienne notamment). Néanmoins, tout le monde autour de FUSA souhaite que la guerre se termine le plus vite possible.
IN : Quels sont les objectifs pour l’avenir ?
FUSA : L’objectif est clair : soutenir les soldats ukrainiens jusqu’au bout. Nous aimerions plus nous positionner à l’avenir sur du matériel plus technologique tout en respectant les diverses législations sur l’exportation de ce matériel qui pourrait être sensible, en privilégiant des achats en Ukraine. Nous avons changé de format depuis 2014 : fini les grandes manœuvres où il fallait équiper au plus vite des centaines de volontaires ayant peu de moyens, nous faisons face maintenant à une guerre de DRG, ces petites escouades de forces spéciales qui s’infiltrent au-delà des lignes pour s’acquitter d’une tâche bien précise. Il faut donc fournir du matériel de haute qualité, aux standards des armées de l’Ouest. Nous privilégions donc la qualité.
IN :Tenez-vous des statistiques de l’activité de FUSA ?
FUSA : Nous répertorions la moindre chose envoyée à n’importe quelle unité, nos tableaux sont très précis. Par exemple, pour l’année 2016, nous avons fourni 12 portes plaques haut de gamme, 35 paires de chaussures aux forces spéciales, plus de 100 gants tactiques, 3 télémètres, une paire de jumelles de vision nocturnes, 53 sacs tactiques, etc…. Et la liste est longue.Le bilan est globalement positif bien qu’il est difficile d’élargir l’audience du fait d’une certaine lassitude après 2 ans de conflit. Il faut absolument être vigilant à cela.
IN : Certains mythes circulent autour de FUSA, comme quoi, vous aidiez davantage des bataillons de volontaires, – qu’en dites-vous ?
FUSA : Tout d’abord nous ne faisons aucune différence entre les unités de volontaires, si une d’entre elle a un besoin, nous ferons notre maximum pour y répondre. Nous partons du principe que toutes celles et ceux qui risquent leurs vies méritent le respect quelles que soient leurs idées, leur religion ou leur ethnie. Ce sont d’ailleurs ceux qui en font le moins qui bien souvent s’offusquent que nous aidions toutes les unités sans distinction.
Pour ce qui est par exemple des unités du Pravy sektor, où notre regretté Wassyl servait (et avec lequel il nous est arrivé de faire des actions communes), nous les aidons mais pas plus que d’autres. En termes de volume, cela ne représente pas plus de 20% de l’aide envoyée. Cela veut dire que pour 80%, nous équipons des unités de l’armée régulière. Il faut bien savoir une chose : sur le front, volontaires et militaires sous contrat sont main dans la main, il n’y a aucune distinction, la fraternité est totale. Notre but n’est pas de faire de la politique et nous n’avons jamais demandé l’opinion politique de qui que ce soit, ce n’est pas dans notre philosophie, il y a un temps pour tout. Nous avons cependant une seule exigence : que l’unité bénéficiaire de notre aide fasse partie de la Garde Nationale ou du Ministère de la Défense. C’est ainsi que nous avons aidé des bataillons comme Praviy Sektor DUK, UDA, Aydar, Donbass ou encore la Légion Géorgienne pour ne citer qu’eux.
IN : J’imagine que le facteur humain est très présent : quelles sont les relations avec les soldats que vous aidez en Ukraine ?
FUSA : Des liens se créent, c’est indéniable. Nous sommes toujours contents et fiers d’avoir de leurs nouvelles, de voir leurs familles, de constater que ce sont des gens équilibrés, des pères de famille responsables. Certains ont trouvé dans l’armée un cadre qui leur faisait défaut et sont devenus de redoutables soldats en plus d’être des personnages admirables. Il est arrivé parfois que certains soldats soient blessés, nous avons parfois financé leurs soins s’ils ne pouvaient pas se les payer. Nous suivons la situation sur le terrain de très près, et, souvent, lorsque nous apprenons que des combats se sont déroulés dans un secteur où se trouvent « nos » soldats, nous prenons de leurs nouvelles. Au-delà de l’aide apportée, des problèmes de financement, c’est une aventure humaine formidable. Nous avons rencontré des personnes de valeurs qui font le sel de la cause ukrainienne, qui nous donnent espoir. Nous ne les abandonnerons pas, et ils le savent.
IN : Quel message vous adressez aux Ukrainiens, qui s’étonnent et s’indignent de l’indifférence ou de la complaisance des gouvernements et des hommes politiques vis-à-vis de ce qui se passe dans l’Est de l’Ukraine ?
FUSA : Les peuples, et les gouvernements sont 2 choses distinctes. Ouvrez-vous vers les Français, essayez d’aller vers les gens sans a priori, vous seriez étonné du profil des gens qui nous aident. A l’Ouest, nous sommes nombreux à supporter le peuple ukrainien dans sa lutte, et encore plus nombreux à être dégoûtés de la duplicité de nos dirigeants. Cela étant dit, ce sera avant tout aux Ukrainiens de se libérer de leurs chaînes mais qu’ils n’espèrent pas trop des gouvernements de l’Ouest. Il y a un intense travail de lobbying à faire…
IN : Merci d’avoir répondu à nos questions !
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