Les boéviks attaquent, est-ce grave? Quel sens et quel objectif final de tous ces actes? Comment empêcher les intentions du Kremlin?
Les chefs des séparatistes prétendent que tout est très sérieux; A. Zakhartchenko, le chef de l’autoproclamée RPD, a déclaré vouloir contrôler toute la région de Donetsk, bien qu’actuellement 1/3 de son territoire est contrôlé déjà par les séparatistes. En outre, il a menacé de « détruire tout ce qui menace les terres de Donetsk », même en dehors de celles-ci « dans n’importe quelle localité ». La dernière de cette liste des menaces est la promesse de promulguer l’ordre de ne plus faire de prisonniers, mais de les fusiller sur place.
Le chef des séparatistes a annoncé que les futurs pourparlers de paix seraient possibles uniquement si le Président de l’Ukraine, Petro Porochenko y participe. Il est bien évidemment impossible pour Kyiv de mettre en pratique cette dernière exigence.
Dans la capitale ukrainienne, ces déclarations tumultueuses de Zakhartchenko ont été accueillies avec scepticisme : il veut faire parler de lui et c’est une manœuvre pour faire durer le conflit. La majorité de politiciens, experts et militaires ne voient pas l’offensive des boéviks comme trop dangereuse, vu que la ligne des combats (malgré la perte du contrôle de l’aéroport de Donetsk), reste,en gros, sous contrôle..Pas de raison spéciale d’être très pessimiste.
Les russes, à leur tour, encouragent régulièrement les parties adverses du conflit à faire la paix, ce qui leur permet de prends position « au dessus de la mêlée ». .Bien que très peu de gens doutent que ce subit accès de l’hostilité de Zakhartchenko n’a rien avoir avec l’ordre reçu de Moscou. Le Kremlin se sert de Zakhartchenko pour faire passer le message qu’il ne peut pas exprimer pour des raisons quelconques.
Et pendant ce temps-là, les affrontements restent intenses. Les zones proches d’aéroport de Donetsk, les alentours de Debaltseve et de Marioupil restent au cœur du conflit. D’après les messages qui viennent de ces localités, les séparatistes avancent doucement, mais sûrement.
Cette lenteur de progression laisse certains dire que ce n’est pas LA grande offensive : les militaires et les unités de l’armée russe n’y participent pas., pas de « bonhommes verts », pas d’attaques aériennes, ni de tanks, la quantité des morts et de blessés est limitée.
Toutefois, les boéviks n’ont pas pour but de mener une guerre-éclair, blitzkrieg. D’après le dessein des « patrons » des séparatistes, l’objectif est de « broyer l’Ukraine lentement mais sûrement », en forçant battre en retraite et en privant d’espoir de vaincre. Une trop forte progression pourrait provoquer l’Occident à durcir les sanctions. Mais lorsque la guerre « mijote », l’Occident ne le fera certainement pas.
Ainsi l’offensive des boéviks reste « d’envergure » d’après son signification, mais pas d’après sa forme. Les objectifs des séparatistes sont plutôt d’ordre stratégique, mais ils vont en venir à bout par des moyens tactiques, sans précipitation, avec des forces limitées, en augmentant progressivement la pression.
Il ne serait pas utile d’analyser ce qui se passe, sans tenir compte des aspects diplomatique et politique.
Au fur et à mesure que l’offensive des boéviks avance, le Kremlin va adresser à Kyiv de nouvelles propositions d’accord de paix, toutes aussi inacceptables, les unes que les autres.Tout ça pour montrer au monde entier sa « volonté de négocier » et la position « peu constructive de Kyiv ».
En même temps, la perte du contrôle de nouvelles territoires, de localités et bien sûr des pertes de vies humaines, tôt ou tard mèneront à l’instabilité politique à Kyiv. Le mécontentement deviendra général. Il y aura les forces qui vont exiger « la démission du gouvernement incompétent », d’autres voudront « conclure la paix à tout prix » et les troisièmes voudront « contre-attaque », ce qui serait suicidaire pour l’armée ukrainienne pas encore assez renforcée.
Le but commun de la campagne militaire, politique et diplomatique décrites ci-dessus est d’obliger Kyiv de signer l’accord de paix aux conditions du Kremlin. Il s’agit de deux choses :
1, Reconnaître la souveraineté russe en Crimée (ou, au moins, garantir la libre circulation de la population et des marchandises par le territoire ukrainien).
2, Faire de l’Ukraine une fédération où le Donbass aura le droit d’influence sur les décisions prises par Kyiv.
Le calcul dans ce cas est basé sur le fait que Porochenko et son équipe n’auront plus de choix, à part d’accepter les conditions de Moscou. Sinon, ce serait la suite de l’offensive des boéviks, l’escalade de l’instabilité politique qui mènerait à un nouveau Maïdan armé et la désintégration rampante du pays.
Ce serait très important d’obliger l’Ukraine de conclure la paix très rapidement, si possible, avant mars, lorsque l’UE décidera du sort des sanctions à l’encontre de la Russie.Si d’ici là l’accord de paix n’est pas signé, l’UE laissera courir les sanctions. L’annulation des sanctions permettra de redresser la situation de l’économie russe et de prévenir ainsi de possibles bouleversements socio-politiques, liées au développement de la crise.
Ce scénario signifie la victoire complète du Kremlin et par conséquent, la défaite de l’Ukraine. Toutefois, il est possible de s’y opposer.
1, Il faut se souvenir que l’économie russe subit des dommages. Plusieurs responsables russes de haut rang ont déclaré publiquement la semaine dernière que leurs concitoyens devraient limiter considérablement leurs habitudes de consommation.. Cette restriction ne concernera pas les « voyages en Turquie » ou l’achat d’électroménager neuf. Il s’agit des produits alimentaires. On prépare les gens à l’idée qu’il n’auront pas assez d’argent pour se nourrir.
Quand éclatera cette crise? Difficile de dire pour le moment. Les spécialistes indépendants parlent de quelques mois, suffisants pour que les sanctions atteignent le système des finances russe. Les révoltes de la faim repousseraient le cas Zakhartchenko au second plan. Lors de l’effondrement économique, le dossier « Novorossiya » sera clos de lui-même. Il n’ y aura plus de moyens pour financer les boéviks.
2, Ensuite, beaucoup dépendra de la capacité des responsables militaires ukrainiens de conserver l’armée en état de combattre . L’idée de la contre-attaque dans les conditions où les boéviks continuent de recevoir massivement de l’aide de la part du Kremlin, peut se transformer en offensive à grande échelle de la part de l’armée russe. Ce serait une catastrophe semblable à celle d’Illovaïsk. Ce serait bien de fatiguer l’ennemi par une solide défense et attaquer lorsque la Russie sera occupée par ses problèmes internes ou lorsqu’elle trahit les boéviks et réduit leur financement.
Il se peut qu’il ne faudra pas utiliser les armes pour restituer Donbass : le fait de son isolation par l’Ukraine oblige la Russie soit de subir les sanctions, et subvenir aux besoins de la population qui s »appauvrit. Ou encore, se débarrasser des boéviks, et restaurer la région en ruines.
3, Beaucoup dépend de la cohésion de la société civile ukrainienne qui devrait pendant quelques mois survivre dans une situation de l’offensive de l’ennemi, très difficile, mais pas désespérée, sans paniquer ou sombrer dans le pessimisme. Ceux qui appellent à faire un nouveau Maïdan contre « les dirigeants inertes qui cèdent les territoires ukrainiens » malgré les considérations les plus nobles qui les dirigent, rendent service au Kremlin en servant ses intérêts, malgré eux. Le Kremlin veut déstabiliser la situation politique dans le pays. Je peux dire la même chose de ceux qui appellent de cesser immédiatement la guerre, coûte que coûte. Il faut laisser passer ces jour difficiles en aidant le maximum l’armée, même si c’est parfois compliqué.
4, En outre, aujourd’hui l’opinion de l’Occident est très important. L’économie ukrainienne est en difficulté tout comme l’économie russe, voir même plus. Le défaut de paiement et l’effondrement du niveau de vie des ukrainiens, déjà au plus bas, pourrait engendrer plus de chaos que l’offensive des boéviks. Voila pourquoi les institutions internationales de finances et les gouvernements occidentaux devraient accorder à l’Ukraine de l’aide économique suffisante pour sortir le pays de l’impasse. La stabilité en ‘Europe, surtout, en Europe de l’Est dépend en grande mesure de la stabilité en Ukraine, donc y contribuer est dans l’intérêt des gouvernements occidentaux.
Si la guerre dans le Donbass est terminée, Kyiv, pourra enfin mener à bien les reformes si nécessaires pour avancer sur le chemin vers le modèle européen. Les phrases « De quoi vous parlez? Nous sommes un pays en guerre » n’auront plus de fondement et le gouvernement du pays sera obligé de lancer la réforme de l’économie, des organismes administratifs et juridiques
Cet aboutissement serait une véritable victoire pour Kyiv et une cuisante défaite pour Moscou, où son propre Maïdan risque d’éclater, pour faire comprendre que les mécontents n’aient pas envie de se priver pour faire plaisir à Poutine.
Traduction de Viktoira Mait.
plus de cet auteur :
La guerre dans l’Est de l’Ukraine entre dans son stade critique.