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L’OTAN à l’heure des choix : quelle feuille de route pour l’Alliance ?

Préparatifs lors du précédent, en 2014, au Pays de Galles. OTAN/Flickr, CC BY-NC-SA

Nicolas Tenzer, Sciences Po – USPC

Du sommet de l’OTAN qui se réunit les 8 et 9 juillet à Varsovie, certains affirment qu’il est le plus important depuis la fin de la Guerre froide. Outre la montée du terrorisme sur le sol des pays de l’Alliance, l’invasion du Donbass par la Russie et l’annexion de la Crimée – sans précédent en Europe depuis l’annexion par Hitler de la Tchécoslovaquie – et le développement par Moscou d’une stratégie menaçante envers les pays de l’Alliance, notamment les Pays baltes, et d’une guerre de l’information d’une ampleur inédite constituent des menaces concrètes.

On invoque souvent une nouvelle guerre froide, alors que, en Ukraine comme en Syrie, il s’agit d’une guerre chaude. De surcroît, la crise de l’Europe consécutive au Brexit, qui va consacrer la sortie de l’Union d’une de ses deux puissances nucléaires et de l’une des voix les plus fermes à l’endroit du Kremlin, au moment où le Service européen d’action extérieure publie sa nouvelle stratégie de sécurité, repose la question de la coordination entre l’OTAN et l’Union européenne.

Ce sommet consacrera des décisions importantes, en fait déjà prises, comme le déploiement du bouclier antimissile Aegis. En tant que tel, un sommet de l’OTAN n’est pas un lieu pour la nouveauté et obéit à une chorégraphie dessinée à l’avance. Pourtant, certains anticipent déjà que ce sommet, à l’instar de celui du pays de Galles en 2014 -– où fut décidée la mise en place d’une force de réaction très rapide – restera de transition et s’abstiendra d’avancées significatives en termes de doctrine.

Affiche du précédent sommet de l’OTAN, en 2014.
OTAN/Flickr, CC BY-NC-ND

Ensuite, pour plusieurs dirigeants actuellement en fonction –- dont Barack Obama –, cela sera le dernier sommet, ce qui ne les incitera pas à porter leur regard loin. S’y ajoutent des vues divergentes entre les pays membres tant sur le rôle de l’Alliance que sur la manière de traiter avec le Kremlin et sur le partage des responsabilités entre l’Europe et l’OTAN, ainsi que des divisions internes au sein des exécutifs de plusieurs pays, dont l’Allemagne. Enfin, l’OTAN n’échappe pas à la crise idéologique qui secoue l’Occident : plusieurs de ses pays membres, et parfois dirigeants, sont en retrait sur les valeurs traditionnelles de l’Alliance quand bien même ils en partagent les principes stratégiques.

La plus grande alliance militaire défensive du monde

Malgré les incertitudes sur le futur de l’Alliance, l’organisation reste une structure irremplaçable. Nous sommes loin des doutes qui avaient pu surgir sur son utilité après la chute du Mur de Berlin, en 1989. Aucun des 28 pays de l’OTAN n’envisage de quitter l’Alliance : la nouvelle menace russe suscite d’importants débats dans des pays traditionnellement neutres – la Suède et la Finlande – sur l’opportunité de rejoindre l’organisation et l’Ukraine, où l’opinion est devenue majoritairement favorable à une candidature, considère l’OTAN comme une garantie indispensable à sa sécurité future.

Tbilissi et Kiev rappellent fréquemment que, si elles avaient été membres, leur territoire n’aurait pu être envahi par les forces russes en vertu de l’article 5 du Traité (assistance mutuelle en cas d’attaque). Au demeurant, conformément à une jurisprudence de l’organisation, ce même article conduit les États membres à refuser l’adhésion d’un pays en conflit ou dont l’intégrité territoriale a été atteinte, ce qui est le cas de l’Ukraine et de la Géorgie.

Il faut rappeler la nature de l’Alliance : contrairement à la rhétorique de Moscou qui la décrit comme agressive, c’est une alliance défensive entre ses membres. Elle ne dispose pas du pouvoir d’intervenir pour protéger un État tiers d’une agression, même si celle-ci menace indirectement ceux-ci : la question a été soulevée pour l’Ukraine et la réponse était claire. Cela ne signifie pas que l’OTAN ne puisse pas prêter une assistance à un État tiers par le biais d’une coopération militaire.

Démonstration de l’aviation britannique lors du sommet de 2014.
Number 10/Flickr, CC BY-NC-ND

Il était clair dès l’origine que l’OTAN n’entendait pas se trouver engagée dans des opérations extérieures. Cette disposition était aussi liée à la logique des blocs de la guerre froide qui la rendait presque simple : il s’agissait d’éviter qu’un autre État européen « libre » puisse être attaqué, mais en dehors des pays neutres, la question d’une zone intermédiaire ne se posait pas. La fin des blocs a modifié la donne : elle a donné naissance à une zone intermédiaire entre les anciens pays soviétiques devenus membres de l’OTAN et la Russie, zone intermédiaire qui englobe principalement l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, les Balkans et les pays neutres. Leur sécurité et, sur le plan des valeurs, leur ancrage dans le camp démocratique sont devenus l’un des premiers défis de l’organisation.

Enfin, l’Alliance est une puissance nucléaire qui n’a pas un pouvoir de décision ultime en la matière, lequel reste celui des États, mais dont la dissuasion nucléaire reste un élément déterminant avec la dissuasion conventionnelle. Si la France, qui a réintégré le commandement militaire, n’est pas membre du comité des plans nucléaires de l’organisation, elle en est, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, un élément de cette dissuasion globale. Certes, le parapluie nucléaire reste d’abord américain.

Alors qu’au début des années 2000, la diminution des forces de l’OTAN avait été évoquée puis engagée, celle-ci n’est plus à l’ordre du jour et l’importance de la dernière manœuvre de l’OTAN (Anaconda) comme de l’exercice BALTOPS ont montré l’importance d’un dispositif conventionnel renforcé. Le déploiement de nouvelles troupes en Europe constitue un signal heureux.

De la crédibilité de l’Alliance

Malgré ce renforcement, beaucoup posent la question de la crédibilité de l’Alliance sur les plans militaire et politique et sur sa capacité à se transformer dans une organisation où l’unanimité est la règle. La question n’est pas nouvelle, mais elle revêt une plus grande urgence. Le défi est plus clair qu’il y a dix ans, même si la réponse à y apporter n’est pas immédiate.

Sur le plan militaire, malgré l’importance des manœuvres, les progrès de l’interopérabilité des forces, le renforcement de la lutte contre les cyberattaques et la mise à niveau des équipements, certains estiment que – sur le plan conventionnel – la dissuasion resterait insuffisante devant une attaque résolue de la Russie.

La mise en place de systèmes antimissiles, qui focalise les critiques de Moscou, n’est pas à elle seule une composante suffisante de la dissuasion. La dissuasion nucléaire reste centrale, mais sa nature porte ses propres limites. Elle doit tenir compte de l’abaissement des seuils dans la nouvelle doctrine russe sans adopter la même posture. Elle bénéficie d’une imprévisibilité renforcée par des doctrines différentes des trois puissances nucléaires, mais l’Alliance ne peut formuler une doctrine propre, même si une compréhension de la dissuasion nucléaire doit être partagée par ses membres.

Le renforcement des forces conventionnelles doit donc rester une priorité première, mais elle passe par l’augmentation de l’effort de défense de tous les États membres – le chiffre de 2 % du PIB – avait été défini comme un horizon nécessaire au sommet du Pays de Galles.

Barack Obama et David Cameron, au Pays de Galles, en 2014.
OTAN/Flickr, CC BY-NC-ND

Sur le plan politique, les risques liés à la crédibilité sont aussi forts. D’abord, la « résolution » indispensable, soulignée par le secrétaire général de l’OTAN, ne doit pas être mise en doute. Le retour vers l’Europe des États-Unis, décidé par Barack Obama, était indispensable, mais il reste ambigu et fragile – une victoire de Donald Trumppourrait le remettre en cause. Le réengagement américain pourrait être aussi revu si les pays européens étaient perçus comme ne prenant pas leur part du fardeau.

Ensuite, malgré un discours musclé à l’endroit de la Russie depuis son invasion de l’Ukraine, la faillite de la politique américaine en Syrie et une volonté – incompréhensible – de trouver un accord avec la Russie dans cette région diminuent la crédibilité américaine. Moscou perçoit aussi que ni l’OTAN pour des raisons juridiques, ni les États-Unis et ses alliés ne sont prêts à une politique plus dure à son endroit pour restaurer la souveraineté ukrainienne sur la Crimée.

Le Brexit, nouvelle source d’inquiétude pour l’OTAN. Ici David Cameron et l’ancien secrétaire général de l’Alliance, Anders Fogh-Rasmussen, en 2014.
Number 10/Flickr, CC BY-NC-ND

Washington est aussi très en retrait sur la possibilité d’adhésion de la Géorgie sans en fermer la porte. Enfin, le Brexit crée de nouveaux risques. D’une part, le départ annoncé du Royaume-Uni de l’Union européenne soulève la crainte d’une moindre résolution dans la politique de sanctions à l’endroit de Moscou – l’Allemagne est divisée, l’Italie en retrait et la France pourrait voir en mai prochain l’arrivée d’un nouveau gouvernement plus complaisant. Or, la politique de sanctions est l’un des éléments d’une politique de dissuasion.

D’autre part, la dissuasion nucléaire britannique pourrait être menacée : les bases navales du Trident sont situées en Écosse, laquelle pourrait demander son indépendance ; une partie du Parti travailliste, dont son dirigeant actuel Jeremy Corbyn, est « pacifiste » ; enfin, les difficultés financières post-Brexit pourraient conduire Londres à tailler dans ses dépenses militaires, notamment celles liées à l’armement nucléaire, même si la probable future premier ministre conservatrice, Theresa May, a pris une position ferme sur la modernisation des forces nucléaires.

Politiser l’OTAN

L’Alliance n’a pas qu’une dimension militaire. C’est aussi une organisation politique – ce qui est souvent oublié. Le préambule du Traité de Washington pose des principes clairs – liberté des peuples, démocratie, libertés individuelles et règne du droit – qui valent au-delà du contexte de l’époque. Ils légitiment la fonction défensive de l’Alliance. Toutefois, ils ne sont pas exclusivement défensifs, mais aussi positifs. Ils illustrent des valeurs, qui sont aussi celles de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Leur occultation présente un quadruple danger.

L’ancien président russe, Boris Elstine, à l’OTAN : une autre époque. DR, Author provided

D’abord, les atteintes aux libertés au sein même des pays de l’Alliance – la Turquie, mais aussi la Hongrie, voire la Pologne, et potentiellement d’autres pays qui pourraient tomber aux mains de dirigeants ultraconservateurs – amoindrissent sa légitimité. Ensuite, dans la confrontation avec la Russie, une insistance trop exclusive sur la menace militaire peut conduire à faire oublier que l’offensive du Kremlin est aussi idéologique. Comme l’URSS en son temps, mais avec une rhétorique plus subtile, le régime de Poutine entend saper ces principes.

De plus, aussi justifiées soient-elles par leurs périmètres et leurs fonctions propres, l’existence de trois organisations – Union européenne, OTAN et OSCE, cette dernière composée aussi en d’États non démocratiques, certes en minorité – peut offrir une prise à l’adversaire si leurs discours sont différents. Toutes affirment les mêmes principes, mais chacune a son agenda, ses mécanismes de prise de décision et son champ d’action. Le risque pour l’OTAN est d’apparaître comme l’organisation la plus « offensive » et les deux autres plus tempérées. Enfin, le risque est qu’il soit perçu que la défense de la liberté s’arrête aux frontières de l’Alliance, ce qui dans le monde de l’après-post-guerre froide pose des difficultés de grande ampleur.

Quel agenda pour le sommet de Varsovie ?

Devant cette nouvelle donne, le sommet de Varsovie, sans pouvoir conclure sur tout, doit définir une feuille de route pour les prochains mois au-delà du renforcement des troupes déjà décidé en Pologne et dans les Pays baltes. La mer Noire est aussi une zone dans laquelle l’OTAN doit résolument s’engager.

En premier lieu, les relations avec l’Union européenne doivent être renforcées. La présence des deux têtes de l’Union au sommet constitue un signe, surtout dans la période post-Brexit. En matière de sécurité comme de valeurs, les deux organisations – qui ont 22 membres en commun – doivent être à l’unisson. Pour la sécurité extérieure, pour laquelle les compétences de l’Union restent limitées, la présence de deux organisations se pose à terme. Même si l’OTAN n’a pas une politique propre de sanctions, elle ne saurait se désintéresser de celle de l’Union. Plus généralement, tout affaiblissement de l’Europe menacerait l’OTAN : son éclatement qu’espère la Russie aurait des conséquences dramatiques pour la sécurité collective. Inversement, l’irrésolution de l’OTAN irait dans le même sens.

Dans la baie de Cardiff, lors du sommet de 2014.
Marc/Flickr, CC BY-NC-ND

Ensuite, en matière de dissuasion, nucléaire et conventionnelle, le Conseil de l’organisation doit donner des signaux clairs et sans ambiguïtés. Il en va de même – cela a déjà été acté – sur le renforcement de la coopération militaire avec l’Ukraine. La résolution de l’Alliance serait aussi affaiblie si la politique de porte ouverte n’était pas réaffirmée : son élargissement futur ne se décide pas sous la pression.

Plus qu’aujourd’hui, les dirigeants des pays européens doivent non seulement se « réapproprier » l’OTAN, mais avoir une politique propre d’information mieux structurée à l’endroit de leurs opinions publiques. Tout discours qui met en doute la légitimité de l’OTAN – comme celui récemment du ministre des Affaires étrangères allemand – porte un coup sérieux à la sécurité de l’Alliance. Comme l’Union, l’OTAN peut être menacée par ses propres membres.

Enfin, la « discussion » – ce qui ne signifie pas « négociation » – avec Moscou doit se poursuivre. L’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 avait donné lieu à beaucoup d’espérances, brisées par l’agression contre la Géorgie en 2008 et surtout contre l’Ukraine. Si Moscou renonce à sa politique belliqueuse et se plie aux règles du droit international en évacuant la Crimée et le Donbass, cette perspective doit toujours être ouverte.

Dans l’immédiat, il faut poursuivre la discussion avec le Kremlin sur trois points. D’abord, du point de vue de l’Alliance, il faut comprendre jusqu’où la Russie est prête à aller. Les opinions divergent sur le caractère de la menace russe sur les pays nordiques et les États baltes. Elle est en tout cas réelle en termes de guerre de l’information. Ensuite, un dialogue précis et subtil doit être conduit en matière de dissuasion nucléaire. Moscou doit en comprendre la portée car toute incompréhension pourrait se révéler tragique.

Enfin, l’OTAN doit réaffirmer à Moscou sa détermination sans failles sur l’Ukraine tout en offrant la meilleure porte de sortie possible pour la Russie. Mais beaucoup doutent qu’un tel dialogue constructif puisse vraiment aboutir sans changement profond au Kremlin. Tel est bien le paradoxe : la Russie a tout fait pour renforcer l’OTAN. Ne la décevons pas en l’affaiblissant !

Nicolas Tenzer, professeur associé International Public Affairs, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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