Le 12 février 2015, en présence de la Chancelière allemande et des Présidents français, ukrainien et russe, a été élaboré ce qui est largement connu sous le nom de l’accord de Minsk-II. Il prévoyait un cessez-le-feu complet à partir du 15 février 2015 et le retrait d’ armes lourdes dans les deux semaines qui suivent.
La réalité a été bien différente avec l’assaut et la prise de Débaltsévé par l’armée russe et les groupes séparatistes dès le lendemain de la signature. Par conséquent, on ne peut pas parler de l’application de l’accord de Minsk-II au sens strict du terme, car elle est tout simplement impossible. C’est le début de l’évolution de Minsk-II vers un hypothétique Minsk-III.
Depuis, tous les changements d’interprétation se sont faits au détriment des intérêts de l’Ukraine. Il est force de constater que presque chaque jour de violation du cessez-le-feu, qui est pourtant le premier point de l’accord de Minsk, se solde par des victimes civiles et militaires. D’autres points ont également évolué :
- on ne parle plus de législation permanente régissant le statut d’une partie du Donbass, mais d’amendements à la Constitution ukrainienne. Il est d’ailleurs ahurissant d’entendre Jean-Marc Ayrault, en visite au Kremlin, parler de la nécessité, pour les Ukrainiens, de voter telle ou telle loi, comme si la propagande de Moscou avait besoin d’un porte-voix supplémentaire. Le ministre français des Affaires étrangères a perdu moins de salive à condamner les « manœuvres de retardement » et le sabotage du processus de Minsk de la part du gouvernement russe. Le message est certes correct, mais pas le destinataire.
Plus grave encore :
- la situation sur le terrain a évolué. Comme le révèle le quotidien allemand BILD, en se basent sur un document officiel russe daté du 23 octobre 2015,
« le Kremlin dirige toutes les affaires des “territoires séparatistes” dans l’est de l’Ukraine ».
De fait, il confirme et approfondit les conclusions publiées par le journal russe RBC en juin 2015. On retrouve déjà dans cet article, plus ancien, le nom du vrai chef du “Gouvernement du Donbass”, Serguei Nazarov, ministre-adjoint du Développement économique de la Fédération de Russie.
Ces informations mettent en évidence la divergence de plus en plus large entre ce que le Kremlin s’efforce de présenter comme un “soulèvement populaire” et la réalité sur place : une occupation, où l’occupant assume la responsabilité socio-économique des territoires. Cette prise en charge du volet économique du pouvoir vient renforcer le volet militaire et politique contrôlé par le Kremlin depuis le début de la guerre.
BILD en conclut :
« Il est parfaitement clair que Moscou force la mise en œuvre des Accords de Minsk dans un seul objectif : présenter un spectacle pour l’Occident. Trois mois avant la signature du plan de paix à Minsk, fin 2014, Moscou avait déjà élaboré en secret son propre plan pour les territoires du Donbass contrôlés par les séparatistes. ».
Face à cette réalité, il est certes possible de faire comme si de rien n’ était, de poursuivre les activités des groupes de travail avec ceux qui ne prennent aucune décision, de parler des élections de personnes qui ne pourront pas exercer leur pouvoir et, surtout, de perdre du temps pendant que chaque jour de nouvelles personnes sont blessées et tuées. Or, cela ne fera que mettre en œuvre le plan du Kremlin de créer une immense zone grise en Europe, source non seulement d’instabilités permanentes en Ukraine, mais sur tout le continent.
Des mesures sont à prendre dès maintenant et avant que le point de non-retour ne soit franchi.
- Premièrement, il est grand temps de reconnaître l’implication réelle de la Russie dans le conflit. Il est contre-productif de parler de la réintégration du Donbass, quand il faut commencer par parler de sa dé-occupation.
- Deuxièmement, une feuille de route linéaire et un calendrier doivent être fixés en s’appuyant sur l’expérience des conflits antérieurs. L’Angola et le Liberia ont montré que l’organisation trop rapide d’élections mène à une reprise des combats.
- Enfin, des sanctions concrètes doivent être prévues pour la non-application de chaque point de la feuille de route.
Ceci pourra donner lieu à un accord viable, contrairement à son frère mort-né.
Par Igor Reshetnyak
Image « Zéro ». auteur Iulia Nosar.