Michel Fouquin, Institut Catholique de Paris
L’auteur de cet article intervient le 9 novembre dans le cadre des Journées de l’Économie à Lyon (8 au 10 novembre 2016)
À l’heure de la montée des populismes dans les démocraties occidentales, du terrorisme proche-oriental, et des relents de nouvelle guerre froide entre la Russie et l’Occident, l’usage des sanctions économiques connaît un regain d’actualité et d’attention.
À dire vrai, les sanctions économiques pour faire plier ou simplement affaiblir un adversaire ont une très longue histoire ; que l’on se souvienne seulement des relations franco-anglaises : de la guerre de Cent Ans jusqu’à Waterloo, elles ont été presque constamment prohibées et, dès qu’elles ont été autorisées, elles sont devenues les plus intenses du monde du XIXe siècle.
Le temps de la Pax Americana
À la fin de la Première Guerre mondiale et de la première mondialisation, Woodrow Wilson déclare qu’une nation soumise au boycott ne pourra résister à une telle sanction et qu’il s’agit donc d’un moyen d’éviter la guerre. On connaît la suite de l’histoire et de la Société des Nations incapable de stopper la course à la Seconde Guerre mondiale.
En 1944, la création des institutions de Bretton Woods, autour de l’Organisation des Nations Unies, de la Banque Mondiale et du FMI, apporte de nouveaux espoirs de gouvernance pacifique, de développement économique et de stabilité du monde. En particulier, elle endosse le rôle de coordination internationale des sanctions économiques et d’intervention militaire (Casques bleus), sous la condition que son Conseil de sécurité lui donne son approbation.
La guerre froide entre l’Occident et la Russie soviétique aboutira à la paralysie de l’ONU, qui conservera cependant un rôle important dans le mouvement de décolonisation. Au cours de cette période, les États-Unis imposent leurs vues et la pax americana par toutes sortes de moyens : sanctions économiques, déstabilisation des régimes politiques qui leur sont hostiles, interventions armées, etc. L’intervention en Corée sera longtemps la seule menée au nom des Nations Unies (du fait de l’absence de l’URSS à la réunion du Conseil de sécurité décidant cette intervention).
La première puissance économique du monde, soutenue ou non par le Royaume-Uni et – parfois par la France –, a les moyens de sa politique (suspension de l’aide économique, interdiction des investissements des entreprises américaines, blocage des exportations de pétrole et de matières premières qui sont souvent les seules ressources des pays pauvres, etc.), et obtient quelques succès de 1945 à 1970 : objectifs atteints dans 53 % des cas de sanctions multilatérales et dans 69 % des cas de sanctions unilatérales.
Ce taux de réussite chute drastiquement dans la période de 1971 à 1990, respectivement à 21 % et 13 %. Et surtout, on s’aperçoit alors que les sanctions ont un effet boomerang sur les exportations des États-Unis et le développement de leurs multinationales : il leur en coûte presque aussi cher qu’à leurs ennemis qui trouvent, au temps de la globalisation, de plus en plus de moyens de contourner les embargos.
Le seul grand succès à mettre au crédit des sanctions économiques est sans doute l’abolition de la politique d’apartheid en Afrique du Sud obtenue après 25 années de luttes intenses, internes et externes (1976-1990).
Le temps des sanctions ciblées
La chute du mur de Berlin est une catastrophe pour beaucoup de pays du bloc soviétique, Corée, Vietnam et Cuba en particulier. Pour les pays de l’Europe centrale, c’est l’occasion de rejoindre l’Europe et de financer leur modernisation. Les Nations Unies retrouvent alors un rôle majeur, à travers notamment l’opposition à Saddam Hussein et la mise en place en 1990 d’un embargo sévère. Mais ces sanctions aggravent dramatiquement des conditions de vie de populations innocentes : on chiffre à un million cinq cent mille les victimes civiles de l’embargo, du fait de la famine et de l’absence de médicaments adéquats alors que les élites du régime restent hors d’atteinte. En 1996, un programme « Oil for Food » est mis en place, qui donnera lieu à de multiples affaires de fraude et de corruption. C’est alors un grave échec pour l’ONU.
Dès lors, on va chercher à cibler les sanctions, en les classant par catégorie : contre la prolifération nucléaire (Corée du Nord et Iran), contre les trafics d’armes, contre le trafic de drogue, contre le terrorisme et contre l’évasion fiscale.
Les moyens utilisés vont de la conditionnalité et du ciblage de l’aide internationale, à l’embargo sur les compagnies de transport aérien, ou encore au gel des actifs financiers. La clause « Everything but Arms » est un exemple de conditionnalité de l’aide imposée par l’UE, comme la subvention et le développement de cultures alternatives à celle du pavot, ou la prise en compte de l’impact écologique de projets d’infrastructure ; il s’agit plus d’incitations positives que de sanctions à proprement parler. L’embargo sur les transports aériens est censé cibler les élites des pays concernés, mais peut aussi faire obstacle au convoyage de l’aide humanitaire.
Le ciblage des flux financiers semble constituer la voie la plus prometteuse. La mise sous séquestre des actifs des dirigeants ou des familles des dirigeants ou de proches a également fait la preuve de son efficacité croissante, grâce notamment aux révélations par des lanceurs d’alerte et à la volonté des gouvernements d’obtenir la levée du secret bancaire dans de nombreux pays. Dans un autre domaine, la création de la Cour pénale internationale (CPI) chargée de poursuivre les dictateurs responsables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, devrait avoir un effet dissuasif.
Le cas des sanctions prises contre la Russie (membre permanent du conseil de sécurité) à la suite de l’invasion de la Crimée et de la guerre en Ukraine est particulièrement intéressant pour étudier l’impact des sanctions ciblées (« smart sanctions »). Dans ce cas aussi, on sait que le prix à payer est élevé pour les pays proches en termes de pertes d’exportations : pour les pays baltes en premier lieu, mais aussi pour la Pologne et d’autres. Les effets de cette politique sont pour l’heure encore incertains.
Michel Fouquin, Professeur d’Economie à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) , Institut Catholique de Paris
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.