par Matveï Nikitine , crédit photo pedpresa.com.ua
Marioupol n’a jamais été aussi en vogue. Après l’installation de l’administration régionale, le nombre de voitures, de costards, de valises y a considérablement augmenté.
Les réfugies sont nouveaux dans la ville, ils se promènent en regardant autour d’aux , s’habituent à l’ l’air marin et aux drapeaux nationaux à chaque coin de la rue.
Suite à la création du second front, les renforts sont arrivés: les volontaires ont suivi les militaires. Les journalistes, les membres de la mission de l’ONU et de l’OSCE, les espions, les marchands, bref, des milliers de nouveaux visages de ceux qui il y a encore un an, auraient cherché Marioupol sur la carte de la Grèce.
Il n’est pas étonnant que les rues regorgent de nouveaux arrivants distraits qui tournent la tête dans toutes les directions ou se lamentent, au dessus d’une carte, ou le compas à la main.
Bien que je me sens comme chez moi, suite à mes quelques visites de la ville, je ne me dépêche pas de devenir guide, je hausse juste les épaules, par politesse.
Seulement, parfois il m’arrive de croiser un de ces regards qui me donne envie de m’approcher, prendre par la main et demander si tout va bien.
-Oui, tout va bien à présent,- et la femme sourit.
Elle a les yeux fatigués d’une personne qui a tout juste eu les forces de venir là où nous nous sommes croisés, et une dose de courage, juste pour garder la face jusqu’à ce même moment précis.
-Pourquoi vous avez demandé?-ses yeux sont déjà remplis de larmes.
Je ne sais pas pourquoi j’ai demandé. De toute évidence, son histoire doit tout simplement être entendu.
Nous nous asseyons sur un banc d’où une vue sur la mer s’ouvre et nous regardons les vagues.
Mon interlocutrice s’appelle Ludmila. Elle vient d’Illovaïsk.Ella a vécu là-bas avec sa fille et sa petite-fille de 7 ans : trois générations, trois paires de mains féminines à tisser un modeste confort de l’appartement dans un immeuble de cinq étages.
Travail dans une entreprise, retraite, marché, mots croisés, tout est simple, tout est clair.
Leur pyramide des besoins aurait déçu Abraham Maslow, car elle se compose que marches basses et ressemble plutôt à un rectangle. Ces femmes n’ont pas participé à la création du Maïdan à Illovaïsk, ni accueillis les terroristes avec du pain et du sel.
Ludmila, sa fille et sa petite fille ne sont pas les gens avec un trop-plein d’énergie. C’est ça, leur faute vis-à-vis de la société, qui, lui, n’a pas le droit de les juger.
Lorsque la guerre est arrivée aux portes de la ville, les gens ont commencé de la fuir en
masse. Ludmila n’avait ni parents, ni amis en dehors de la zone de l’Opération Antiterroriste.Voilà pourquoi, après les premiers tirs d’artillerie, elle a tout simplement été dormir à l’abri anti-bombes situé à l’école de maçonnerie.
Quelqu’un a fui, quelqu’un a été pulvérisé,-la nouvelle réalité avait l’odeur de peur, de poudre et de sang caillé. Mais le matin, en revenant à la maison, parmi la vaisselle, les fauteuils et les photos habituels, les femmes se sentaient rassurées et, jusqu’au soir venu le monde ne leur semblait pas si cruel.
Un beau jour, revenu de l’abri anti-bombes, au lieu de leur immeuble de cinq étages, elles ont découvert une montagne d’ordures fumantes et les morceaux de plaques de béton.”Ma maison a été pliée, comme une maison de cartes”,-hausse les épaules Ludmila. Elle ne croit toujours pas que ça puisse arriver à une maison.
Après avoir contemplé les débris, les femmes sont revenus à l’abri anti-bombes de l’école de maçonnerie. Dans ce cas, l’abri, c’est trop bien dit pour un local représentant le cul de sac en béton, sans éclairage, où la température correspond à celle d’un cadavre et on peut se réchauffer juste en se serrant contre les vivants.Lorsque tout le monde est tombé malade, Ludmila a compris que ce fût la fin. Ainsi, c’était sa première mort.
Bientôt du Zombiland au dessus, des gens sont descendus au sous-sol. Ils ont osé venir de Makeevka pour chercher leurs proches âgés. Mais les vieux étaient dur à convaincre ; ils ne voulaient partir nulle part avant de récolter les pommes de terre et et de faire les conserves de tomates. Ludmila, témoin de la conversation, voyait les arrivants pour la première fois de sa vie, mais elle comprenait que ça pourrait être la dernière chance pour elle et ses filles et que les règles de conduite de la vie au sous-sol lui permettaient de ramper vers un inconnu et de lui attraper la main.
Peuvent-elles prendre la place des personnes âgées? Oui, elles peuvent. Pour le faire, il faut rejoindre Makeevka vers le lendemain matin.
Au petit matin, deux femmes et une fillette sont sorties dehors et, en éternuant et en toussant, et ont pris la direction de Makeevka. Elles s’encourageaient mutuellement en disant qu’elles vont y arriver ,qu’elles vont trouver en ville leurs nouvelles connaissances qui, à coup sûr, vont les attendre.
Il fallait faire 30 km à pieds, à travers les forêts, en évitant les routes, le portable éteint, pour que les snipers ne tirent pas en direction du son. Au moment où elles ont entendu le premier sifflement court, ensuite un claquement et la première branche tranchée par une balle est tombée aux pieds de Ludmila, la femme a compris que c’était la fin, à coup sûr. Voilà comment elle morte pour la deuxième fois.
En tombant, en se relevant, pour une brève lancée, en couvrant la fillette, la grand-mère et la mère ont vite compris que les snipers jouaient avec elles : lorsque les femmes avançaient trop vite, on leur tiraient sous les pieds, si elles ralentissaient, on tiraient dans les buissons derrière elles.
La forêt des tireurs invisibles avec le sens de l’humour digne de Joker leur semblait interminable. Mais tout se termine.Comment elles ont trouvé le véhicule, comment s’y sont assises, comment ont traversé les points de contrôle, Ludmila ne s’en souvient pas.On les a débarquées en plein milieu de la rue, poussière, chaleur et odeur de la mer. Les femmes étaient à Yourievka, tout au sud de la région de Donetsk.
Ludmila a eu marre de mourir et elle a décidé d’aller plus loin, n’importe où. Sur la route vers n’ importe où elle a vu un panneau d’affichage sur lequel il y avait le numéro de téléphone de la hot-line d’une fondation caritative d’aide aux refugiés.L’opératrice lui a proposé deux camps au choix : “Solnetchniy” et “Metalourg”. Le choix était évident : “Solnetchniy” se trouvait plus près de deux kilomètres.
Ludmila s’interrompt pour essuyer ses yeux avec la manche de la veste. Ce sont les bénévoles qui lui ont apporté la veste lorsqu’il a commencé à faire froid.Les psychologues ont pris en charge la petite. Ils sont venus eux-mêmes, lorsque la grand-mère avait déjà pratiquement perdu l’espoir de trouver à Marioupol un spécialiste qui accepterait d’aider la petite, à crédit. La fondation, après avoir vérifié qu’à part les chaussures usées et une paire de pinces à cheveux, Ludmila, sa fille et sa petite fille ne possédaient vraiment plus rien, a décidé de les emmener vivre quelque part, où c’était chauffé.
-Seulement le plus près possible de la ville.N’importe quelle ville,-dit Ludmila.
Elle veut trouver du travail, pour ne plus rien demander. Pour ne plus attraper les mains.Elle pourra.
J’ai retrouvé le numéro de téléphone d’un des psychologues qui travaillait à “Solnetchniy”, Igor, et je l’ai appelé. Non, la femme que j’au rencontrée n’a rien inventé Oui, c’est grave pour la petite, mais elle va s’en sortie. Elle y arrivera.
Lorsque les petits à “Solnetchniy” devaient à la demande d’Igor, dessiner quelque chose de cher à leur coeur, quelque chose qui leur procure de la joie,Sacha (c’est le prénom de la petite) a dessiné un arbre. D’abord, elle ne voulait pas en parler, mais après elle a expliqué : c’est l’arbre qui pousse à côté de sa maison.
-Sur son dessin,-dit Igor,-il n’y a ni maison ni elle même. Seulement l’arbre.
Traduit par : Viktoria Mait
Source : http://life.pravda.com.ua/society/2014/09/23/180826/