Alors que les sources officielles russes et celles des milices soutenues par le Kremlin ont présenté des histoires contradictoires sur le soldat russe sous contrat capturé dans la région de Louhansk, la mère de Viktor Ageyev a pourtant obstinément répété, ce que Moscou a essayé de rejeter comme un » récit fabriqué par des propagandistes ukrainiens ». Elle veut savoir où est son fils et puisque l’armée russe refuse de lui fournir des informations, elle s’est tournée vers le parti d’opposition russe Yabloko.
« Novaya Gazeta » a publié la lettre de Svetlana Ageyeva à la section Altaï de Yabloko, plus une autre lettre adressée au ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, par un politicien connu de Yabloko.
Elle demande dans sa lettre de l’aide « pour libérer son fils Viktor Alexandrovich Ageyev, né en 1995, qui est parti le 18 mars pour servir sous contrat à Bataisk dans une des unités de la région de Rostov. Il a téléphoné à plusieurs reprises, une fois par semaine. Son dernier coup de fil est intervenu le 30 mai à partir du numéro <>. Il n’a rien dit sur son intention de mettre fin à son contrat. »
Il était content avec son nouveau travail. Il m’a même envoyé le décret qui lui conférait son nouveau grade de caporal ; le décret n° 866 du 4.05.2017. »
Elle a appris que son fils avait été capturé en écoutant la BBC en langue russe et a depuis essayé d’obtenir des informations auprès des bureaux locaux et régionaux du recrutement militaire, mais en vain. Elle demande de l’aide pour pouvoir le contacter par téléphone et pour essayer d’obtenir sa libération.
Boris Vishnevsky, un célèbre politicien de Saint-Pétersbourg et leader du parti Yabloko, explique dans sa lettre au ministre de la Défense qu’un militant local des droits de l’homme et membre de son parti a vu en premier les informations sur Ageyev, ils sont du même village. Il est ensuite entré en contact avec sa mère. Vishnevsky demande qu’on vérifie ces informations et qu’on apporte une explication, si tout cela est vrai, comment un soldat russe sous contrat en est venu à être capturé sur le territoire d’un pays étranger.
Des contradictions
La position du ministère russe de la Défense – démentir qu’Ageyev est ou a été un soldat sous contrat de l’armée russe – était à prévoir. Si InformNapalm a raison, et que ce n’est pas Ageyev qui a écrit sur VKontakte, sous le pseudonyme de Vitaly Popov, mais bien le FSB russe qui a changé le nom, alors les autorités russes font des efforts considérables pour cacher les preuves.
Il ressort clairement au vue de la façon dont cette « histoire » se développe, visant à expliquer la capture du soldat, que les efforts du FSB ont été coordonnés avec les milices de la « République populaire de Luhansk » et ont été focalisés pour cacher l’implication de la Russie.
Le 26 juin, le site web principal de la « République populaire de Luhansk » a publié un rapport selon lequel « la milice populaire demande aux militants des droits de l’homme de les aider à libérer des soldats capturés par les forces armées ukrainiennes ». Ceux-ci sont censés être des « soldats de la république » que les organisations internationales de défense des droits de l’homme doivent aider à libérer.
Andrei Marochko, un activiste de la « République populaire de Luhansk », prétend que le groupe a été attaqué et que deux « soldats » ont été tués de manière cruelle après avoir été soumis à la torture. Quatre autres soldats auraient été « enlevés » et puis après on a tout une histoire élaborée sur comment ces soldats « enlevés », y compris le citoyen russe Ageyev, sont soumis à une immense pression à travers leurs proches pour aller à Kiev et dire que les hommes capturés sont bien des soldats russes.
Marochko affirme avoir essayé de régler la situation sans publicité et d’organiser un échange, mais l’Ukraine l’a rejetée au tout dernier moment.
Ces allégations ont été vite reprises par Zvezda, une chaîne de télévision russe qui dépend du ministère de la Défense.
À partir du 28 juin, la large couverture médiatique des révélations du Service russe de la BBC concernant la capture du soldat sous contrat Ageyev, a forcé le ministère russe de la Défense à passer en mode démenti.
Moscou peut s’appuyer sur ses médias qu’elle contrôle, pour s’assurer que le public n’entende que la « bonne » version. Le problème est qu’il y a à présent deux histoires qui se contredisent largement.
La chaîne Rossiya 24, par exemple, a relayé le démenti du ministère de la Défense selon lequel Ageyev s’était engagé sous contrat après avoir terminé son service militaire, ce qu’il pouvait faire en tant que citoyen russe. La chaîne poursuit en répétant l’affirmation du milicien Vladyslav Deynego selon qui « le service de sécurité ukrainien exerce de terribles pressions sur les parents d’Ageyev à Louhansk » pour les faire venir à Kiev et dire devant les caméras que l’homme capturé est bien russe.
Quel serait l’intérêt du SBU (les services secrets ukrainiens) de le faire, si le ministère russe de la Défense a déjà confirmé que l’homme de 22 ans était bien leur compatriote?
Pour sa part, Zvezda a non seulement lu à l’antenne le démenti en entier, mais l’a même posté sur son écran comme visuel. Mentionnent en parallèle l’affirmation des miliciens selon laquelle les « soldats enlevés » (c’est-à-dire Ageyev, plus trois autres) étaient bien des «citoyens de la RPL».
Après avoir posté les appels de la mère d’Ageyev et de Vishnevsky, Novaya Gazeta parle de ce qu’elle considère comme des contradictions dans la version ukrainienne et semble accorder du crédit à ses « sources ». Selon leur version, deux hommes ont été torturés par des soldats ukrainiens avant d’être tués.
Il y a des détails inexpliqués – notamment la façon dont le leader prétendument russe de l’unité de sabotage et de reconnaissance a été identifié et pourquoi on n’a pas vu Ageyev. Il est difficile de comprendre pourquoi la version proposée par les miliciens de la « RPL » est considérée comme bonne alors qu’elle contient tellement de contradictions.
S’il est vrai que les deux hommes, y compris Alexander Shcherba, que l’armée ukrainienne affirme être Russe, ont été torturés avant d’être tués, ce serait très inquiétant. Cependant, les allégations proviennent de miliciens et ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante. L’examen des images diffusées par des experts, qui peuvent ou non être lié à l’escarmouche, mentionne un certain nombre d’autres blessures, ce qui pourrait suggérer la torture, mais aussi de multiples blessures par balles qui seraient sans doute plus typique d’une l’escarmouche.
Où et comment l’escarmouche a eu lieu ne change en rien la question clé de pourquoi un soldat russe sous contrat y a participé. À cela la Russie ne peut pas répondre.
Échange
Yury Hrymchak, le vice-ministre des territoires occupés, a déjà déclaré que Ageyev pourrait faire objet d’un échange contre des prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie. C’est ce qui s’est passé avec les deux officiers du renseignement militaire capturés après avoir tué un soldat ukrainien dans la région de Louhansk, il y a deux ans. Ils furent échangés contre Nadiya Savchenko.
La Russie a trahi Yevgeny Yerofeyev et Alexander Alexandrov, tout comme elle a trahi Ageyev, en refusant toute responsabilité dans leur venue au Donbas. Tout comme eux, Ageyev a participé à cette guerre non déclarée de la Russie sur le territoire ukrainien. Il en sait trop pour que Moscou puisse risquer de ne pas le ramener en toute sécurité en Russie où elle pourra s’assurer qu’il ne parle pas de bien des façons.
Traduction par Igor R.
Relecture par Edouard K.
Article originel http://khpg.org/en/index.php?id=1498789532