Par Benoit Hardy
Pourquoi ai-je pris la décision en juin de me rendre dans la zone ATO suite aux rares vacances que je m’autorise de prendre?
La décision est simple: depuis plus de 2 ans maintenant que ce conflit a débuté, il a bouleversé ma vie et celle de mes proches à commencer par ma belle famille originaire de Louhansk. Ils ont fui les combats et ont tout perdu. Je pense que l’on ne se figure pas en Europe de l’Ouest ce que c’est, au 21ème siècle, de prendre sa valise, de la remplir, et de partir au plus vite en laissant tout derrière soi car il y a la guerre dans sa ville natale. Cependant, ceci n’est rien à coté de mes amis qui ont perdu la vie à Ilovaisk, tous natifs du Donbass et s’étant engagés dans le bataillon éponyme. Cet été 2014 restera gravé dans ma mémoire pour de bien tristes raisons.
Depuis, ni moi ni mes proches ne sommes retournés dans le Donbass, le traumatisme, les risques étant trop présents. Mais voilà 2 ans que j’aide aussi bien les réfugiés, les enfants que les soldats de cette région. Pour moi, il n’y a pas de différence possible. Si le Donbass c’est l’Ukraine, alors nous devons aider les civils et les enfants sans distinctions.
En juin 2016, j’ai pris donc la décision lors d’un voyage de quelques jours à l’Est de l’Ukraine, de retourner sur mes pas. Après plusieurs heures sur des routes correctes, nous arrivâmes au petit matin à Slavyansk. Manifestement, le pouvoir à Kyiv tient à entretenir ce cordon ombilical qu’est la route entre Kharkiv et Slavyansk tant elle parait en bon état. Ceci dit, la vision des maisons éventrées par les combats nous ramène vite à la réalité.
Direction Stanytsa Luganskaya. Rien que les routes nous rappellent où nous sommes. À une moyenne de 15 km/h, nous atteignons poussivement Stanytsa, qui a été copieusement bombardée par les russes. Et là, c’est la consternation. Absolument aucune maison n’a été épargnée par les bombardements. Il est évident que ceux-ci ont été fait sans distinctions aucunes. Des fenêtres brisées non remplacées, des toitures éventrées… Quand ce ne sont pas des maisons brûlées. Et ici, les habitants occupent encore leurs maisons. Peu d’aides arrivent jusqu’ici, l’impression de bout du monde est immense, les gens font du troc, qui a des oeufs, qui a des choux… Une des choses qui m’a le plus choqué, reste la vision de ces enfants vivant sous une bâche, pieds nus, sur des lits de camp. C’est insupportable, pour moi, dans l’Europe d’aujourd’hui, de savoir que cela puisse encore exister. Comment vont-ils faire en hiver? Et ce sera le troisième…
L’histoire de ces femmes qui s’occupent de ces orphelins est symptomatique de la situation qui persiste dans le Donbass. Ces femmes ont recueilli ces enfants en dehors de toute structure étatique, et ne reçoivent donc aucune aide, pourtant, elles considèrent ces enfants comme les leurs. Entendre leur histoire, c’est revivre celles des miens en quelque sorte: fuir sa ville natale avec en prime avoir été prise pour cible par l’occupant. Il faut savoir qu’une femme avec des enfants est précieuse pour eux car ils représentent une présence civile indispensable, l’activité, en un mot le futur de la zone qu’ils occupent illégalement et qu’ils sont censés protéger. Vidé de sa population et surtout de ses jeunes, le Donbass occupé mourra à petit feu. Ils font tout donc pour les retenir. Avec Solidarité France Ukraine nous nous attelons à aider ces enfants, tout d’abord avec ces besoins primaires que sont les chaussures, puis nous réfléchissons à une solution à plus long terme pour eux.
Un autre moment très fort fut la rencontre avec cette babouchka à Stanytsa. Une femme désespérée, sa maison a été ravagée par un un tir direct, mais pourtant, elle y vit encore… Elle m’a tellement ému, nous lui avons pourtant donné 3 fois rien, 2 boites de Doliprane, un oreiller… Elle en a pleuré. Elle parlait un sourjik assez particulier comme on en parle dans les villages, car si les centres urbains ont été russifiés, les campagnes restent ukrainophones. On voit tout de suite la différence entre les réfugiés de Louhansk et les autochtones campagnards.
Cela m’amène à remarquer la chose suivante, et je l’ai constaté partout ailleurs lors de mon voyage: à Stanytsa comme à Schastyé, les soldats ukrainiens partagent le quotidien de la population locale. En aucun cas, à aucun moment, j’ai eu la sensation d’une « armée d’occupation » comme tentent de le faire croire certains médias. Au vu des tags que j’ai remarqué à Schastyé, le doute n’est même pas permis, à l’effigie des bataillons « phares » de la Garde Nationale.
A Schastyé, emplacement de la centrale électrique alimentant l’oblast’ de Louhansk, les combats sont constants. Pourtant, j’ai pu observer des soldats disciplinés, ayant un bon moral, avec un équipement individuel décent. Au delà des nombreux checkpoints et de la forte garnison, une vie normale refait surface. Les heures noires de l’été 2014 sont désormais derrière nous. Pourtant, la guerre est là, nous sommes à l’endroit même où les 2 soldats du GRU ont été capturés au prix de la mort d’un soldat ukrainien. Fini l’atmosphère détendue des premiers points de contrôle à l’entrée de la zone ATO, ici les soldats sont aux aguets, armes chargées, et les différents impacts autour des positions, les arbres cisaillés, nous montrent que les combats font toujours rage, surtout à la nuit tombée. L’équipement lourd reste vétuste, mais bien entretenu, il fait son office. Ces soldats font avec peu de moyens face à une armée bien mieux équipée. Que l’on m’explique comment ces soi disant « miliciens locaux » peuvent brouiller les ondes et capturer des drones par exemple sans l’aide d’une puissance étrangère. Toujours au début du conflit, une brigade devait gérer à elle seule des dizaines de kilomètres de front avec seulement 2 paires de jumelles de vision nocturne de 30 ans d’age. Les besoins existants sont surtout ceux là: des moyens technologiques supérieurs.
La volonté est là, comme le moral. Les soldats que j’ai vu, partagent leur ravitaillement avec les civils. Ils sont acceptés et l’entente est excellente. Et surtout, ils sont à des années lumières du cirque de Kyiv, des arrangements de Bruxelles… Ils défendront leur terre, aussi longtemps qui le faudra. Le plus choquant reste néanmoins les conditions qu’entourent la vie des civils. Sans l’aide des volontaires, ceux ci n’auraient rien. Kyiv doit aussi penser à eux, ce sont des ukrainiens à part entière qui doivent être soutenus par tous les moyens, nous ne devons pas les oublier.
Je veux insister sur le travail des volontaires qui est essentiel. Ils pallient à un état défaillant, voir absent du fait de la guerre. Si le minimum vital du soldat est assuré, tout le reste provient de l’aide des volontaires, dont une grande part vient de l’étranger. Leur travail est colossal puisque les besoins restent importants. Pourtant, si l’armée a évolué, c’est aussi grâce à eux. Du besoin basique comme des chaussures, au besoin technologique, comme des lunettes de visions nocturnes voir des drones, ils font tout. Si ce pays est encore debout, c’est avant tout grâce à son peuple et à ce noyau dur d’activistes dont la résilience est admirable. Il est inadmissible que le gouvernement de Kyiv ne les reconnaissent pas en leur rendant les honneurs. Sans eux, la situation serait bien pire et les russes auraient bien plus progressé. Leurs sacrifices, notamment durant l’été 2014 ont été immenses et le décompte officiel ne reflète en aucun cas la réalité de cette guerre. Être volontaire (ce qui n’implique pas forcément s’engager dans une unité combattante, mais seulement ravitailler l’armée et les civils) ou aider ceux-ci est une tâche ingrate, souvent dans l’ombre sauf en ce qui concerne les critiques, faire face à l’incurie encore trop présente des structures étatiques de l’Ukraine, et surtout, à des besoins immenses qu’il faut hiérarchiser. Pourtant, l’occupant ne s’y trompe pas, s’il est prompt à négocier la libération de soldats réguliers, il rechigne régulièrement à discuter du cas des volontaires ou de ceux qui ravitaillent les unités combattantes. Pour eux, leur valeur est bien plus grande. J’aime à garder en tête cette citation d’Eisenhower: « Les amateurs parlent de tactique, les professionnels de logistique ». Bien souvent, c’est ce qui fait la différence au delà du courage indéniable de milliers de soldats anonymes sur le front.
Aujourd’hui, nous avons à faire à une guerre faite de coups de main, d’infiltrations de commandos… C’est une guerre de spetsnatz, les fameux DRG. Les grands mouvements de troupes de l’été 2014 sont derrière nous, il faut donc s’adapter à cela, je pense qu’il est très important de garder cela à l’esprit, les besoins sont très précis et ciblés, il n’y a plus de place à l’improvisation, ou alors celles-ci est bien souvent fatale.