«Ils ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui,
avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et
ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait
taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même
droit de parole qu’un prix Nobel.» –
Umberto Eco
Depuis la sortie du livre “Ukraine : pourquoi la France s’est trompée”, son auteur Xavier Moreau est souvent présenté comme « expert de l’Ukraine ». Il est fort bien accueilli par l’extrême droite pro-Poutine, mais aussi par des milieux plus fréquentables, grâce à son anti-américanisme. Certains vont même jusqu’à dire que l’ouvrage de M. Moreau présente un point de vue alternatif sur l’Ukraine, en particulier sur les événements des trois dernières années.
Une première lecture montre que ce livre est une très simpliste adaptation de la propagande russe pour le public francophone, qui est, de ce fait, méprisé. Même une personne peu informée des réalités de l’Est de l’Europe pourrait y trouver un certain nombre de mensonges avérés. Une analyse plus profonde montre qu’il y a environ une information fausse ou une omission par page. Pour M. Moreau, il suffit de se réclamer du droit de présenter une vision alternative ou complémentaire pour justifier d’omissions volontaires, pour présenter des contre-vérités ou pour déformer la réalité. Cette approche est dans la droite ligne éditoriale des médias subventionnés par le Kremlin, qui accueillent M. Moreau les bras ouverts.
Un exemple caricatural de manipulation du Kremlin, que l’on trouve reprise, sans nuance, par M. Moreau dans les pages 75 et 103 de son ouvrage, est celui de l’abrogation par le Parlement ukrainien de la loi sur les langues régionales. La réalité est bien différente : il y a bien eu une tentative d’abrogation, mais la loi n’a jamais été promulguée par le président intérimaire Tourtchinov. Ce fait est, par ailleurs, une illustration de l’existence de la séparation des pouvoirs et va à l’encontre de l’affirmation que l’Ukraine est un régime sans droit.
Dans cette lignée, un autre exemple de mensonge intentionnel, dans ce livre sur l’Ukraine, est l’affirmation que « la Cour constitutionnelle (d’Ukraine) a été dissoute ». Il s’agit d’un élément important pour M. Moreau, qui en conclut qu’il n’y a plus d’institutions légitimes à Kyiv. Pourtant, cette dissolution n’a jamais eu lieu. La Cour constitutionnelle a même stipulé, le 15 mars 2014, que le « référendum » en Crimée était illégal. Mais cet élément, comme beaucoup d’autres, est dissimulé dans le livre de M. Moreau qui évite d’évoquer tout ce qui contredit la position officielle russe.
Sans surprise, l’auteur essaye de prouver dans son ouvrage que la Russie et les milices pro-russes ne sont pas impliqués dans le crash du MH17. Là encore, M. Moreau manipule les faits, en parlant, par exemple, de « quatre véhicules qui composent une équipe BUK », bien qu’un seul véhicule soit suffisant pour le fonctionnement de ce système anti-aérien.
En conclusion,
“Ukraine : pourquoi la France s’est trompée” est un exemple emblématique de désinformation visant le public francophone. Préfacé par Thierry Mariani, “l’ambassadeur officieux de la Russie en France”, il s’inscrit dans la guerre d’information que mène Poutine contre l’Ukraine mais aussi contre la France. La seule expertise que l’on peut reconnaître à M. Moreau est celle de posséder, sur le bout des doigts, le bréviaire de l’Ukraine virtuelle construite par le Kremlin.
Par Igor Reshetnyak.