Douze députés européens – pour la plupart français, dont Rachida Dati – ont cosigné une tribune dans le quotidien britannique « The Independent » demandant la levée de l’interdiction d’entrée en Europe des chefs du renseignement russe. Quelques jours auparavant, la version française de cette tribune avait été publiée dans un des principaux relais de la propagande russe – Sputnik – manifestement faute d’avoir trouvé un journal de langue française crédible. Nous sommes encore une fois face à un exemple d’instrumentalisation d’un problème bien réel à des fins plus que douteuses. Ci-dessous l’explication en plusieurs points.
Premièrement, les sanctions ont été imposées aux agents de renseignements russes à cause de leur participation active à l’annexion de la Crimée, puis aux opérations militaires dans le Donbass. A titre d’exemple, c’est un (ex-) agent du FSB Guirkine-Strelkov qui a dirigé la capture des bâtiments administratifs dans la région de Donetsk, après avoir préparé et pris part aux opérations de l’armée russe en Crimée.
Deuxièmement, le FSB, le GRU et le SVR, loin d’être coopératifs, ont réalisé des « mesures actives » et pas uniquement en Ukraine. Le tribunal britannique a clairement pointé du doigt la responsabilité des agents du FSB dans l’assassinat de Litvinenko. En France, plusieurs opérations auraient également été menées par des agents russes, notamment l’empoisonnement d’un oligarque et l’intimidation d’un ancien ministre tchétchène. Pour mener à bien ces opérations la Russie disposerait d’environ une centaine d’agents sous couverture diplomatique dans son ambassade de Paris [1]. Un chiffre important comparé aux estimations d’effectifs du contre-espionnage français [2].
Troisièmement, les informations fournies par les Russes sont souvent modifiées ou tout simplement inventées de toutes pièces. Pour citer un exemple récent : le trucage d’images par le ministère de la Défense russe en ce qui concerne le vol MH17. Ce problème est par ailleurs bien connu de nos services de renseignements. Un ancien haut responsable de l’espionnage français, Alain Chouet, le note dans un entretien à MediaPart:
« Quant à la Russie, c’est un autre problème, celui de l’intégration des services de renseignement au service de la politique étrangère russe. En résumé, ils ne nous donnent que ce qu’ils veulent, et en plus ça peut être calculé. À chaque fois, c’est donc à prendre avec des pincettes. »
Notre analyse serait incomplète sans noter les contacts déjà bien présents entre les élus LR et les renseignements russes. Dans son livre « La France russe », Nicolas Hénin, note la présence d’un responsable du GRU à la première réunion du Cercle Pouchkine parrainé par le député LR Mariani. Il fait remarquer également que les services français suspectent l’Association Dialogue Franco-Russe, dont un certain nombre de députés LR sont membres, d’être « gangrené par le SVR ».
Il est par ailleurs intéressant de remarquer que parmi les partenaires de l’édition 2015 du festival « le 7e art dans le 7e », organisée sous le patronat de Mme Dati, on retrouve l’Association France-Oural, présidée par le poutinolâtre M. de Kochko, connu, notamment, pour ses tentatives de recrutement de journalistes français.
Venez nombreux à la 14e édition du Festival "Le 7e art dans le 7e"
Inscription obligatoire au 01.53.58.75.60 pic.twitter.com/C9itLMmVZp— Mairie du 7e Paris (@mairie7) June 1, 2015
Enfin, les points cités précédemment doivent être replacés dans leur contexte. Depuis plus de deux ans, la Russie mène une guerre hybride en Europe. On peut y distinguer trois fronts : militaire, diplomatique et informationnel. L’Europe, parfois inconsciemment, affronte la Russie sur les deux derniers, l’Ukraine, sur l’ensemble des trois. Les divers services de renseignement russes agissent sur tous ces fronts en Ukraine et en Europe.
En septembre 2014, le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian a très justement qualifié l’action de la Russie : « ce sont bien là les principes qui fondent la sécurité de l’Europe qui sont atteints ». Depuis, il y a eu, certes, les accords de Minsk. Des affrontements militaires ont été largement remplacés par des affrontements diplomatiques. Mais sur le fond, rien n’a changé, la paix en Europe est très loin d’être rétablie.
Vouloir dans ces conditions lever les sanctions contre les chefs des services de renseignement russes qui ont agi et continuent à œuvrer contre notre sécurité relève pour le moins d’une inconscience.
Par Igor Reshetnyak, en exclusivité pour Informnapalm France.
Relecture: E. Kloczko
Photo : Rachida Dati et l’ Ambassadeur Orlov à l’occasion de la сérémonie de la pose de la première pierre du Centre culturel russe
[1] “Comment Poutine tisse sa toile en France”, Le Monde, 28 mai 2016
[2] « Révélations sur les espions russes en France », Le Nouvel Observateur, 24 juillet 2014.
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