Par Igor Reshetnyak
En France, on parle beaucoup ces derniers temps des lobbyistes des intérêts de Poutine et du Kremlin. Les livres de Cécile Vaissié ( « Les Réseaux du Kremlin en France« ) et Nicolas Hénin ( « La France russe » ) parus récemment, traitent ce sujet exceptionnellement bien. Or, il existe aussi un lobby des oligarques ukrainiens ressemblant beaucoup plus à un soft-power classique. Sauf qu’il ne représente ni les intérêts de la société civile ukrainienne, ni ceux des élites politiques ukrainiennes, mais d’un petit groupe. Ceci peut conduire à des erreurs d’appréciations de la part de ceux qui ne tiennent pas compte de la spécificité de ce lobby.
Pendant la période Ianoukovitch, parmi ces lobbyistes on retrouve Dmitri de Kochko, comme le témoignent les documents retrouvés au siège du Parti des Régions. Du fait de ses liens très étroits avec l’Ambassade de la Russie, force est de constater que ce qui était communiqué n’est pas le point de vue des Ukrainiens, mais celui du Kremlin.
À cette même époque, connaît son succès Walid Harfouch, un Ukrainien d’origine syrienne, responsable des relations-presse internationale de Ianoukovitch lors de élections de 2010 et fondateur de l’agence « Supernova » qui faisait du lobbying, y compris en France. Si M. de Kochko n’a visiblement plus fait de lobbying pour des Ukrainiens après Maidan, M. Harfouch a réapparu récemment dans l’histoire des “camps de djihadistes en Ukraine” et a été présent au Sénat lors du vote de la résolution sur la levée des sanctions anti-russes. Il semble légitime de se demander auprès de qui et en faveur de quel vote il était engagé.
Parmi les oligarques qui font appel à du lobbying, Dmytro Firtach est, certainement, l’ un des plus actifs. Il a été arrêté à Vienne en mars 2014 sur demande du FBI américain et accusé de corruption. Depuis il utilise diverses ressourses pour redorer son image et échapper à la justice. En 2015, avec deux autres oligarques Victor Pintchouk et Rinat Akhmetov, il a participé au lancement de l’Agence pour la Modernisation de l’Ukraine, soutenue par un certain nombre de personnalités européennes, et, en particulier, françaises. A cette même période, un article très complaisant sur Firtach a été publié dans Le Point par Hares Youssef, homme d’affaires ukraino-syrien. Si il n’y a rien de criminel dans le soutien par un ami, d’autres méthodes utilisés par “l‘(ex-)baron du gaz” sont beaucoup plus glauques. Actuellement deux fonctionnaires de police allemande et une ancienne de Stasi sont sous investigation, accusés d’avoir été payés pour obtenir des informations dans l’affaire Firtach.
Une proximité avec les oligarques ukrainiens ne se limite pas à ceux qui ont des contacts avec les cercles politiques et industriels.
Le 28 juin 2016, à l’Assemblée Nationale, a été organisé un colloque très prometteur « Ukraine, au-delà de la guerre ». Parmi les intervenants, on retrouvait des personnes dont les témoignages ont été très intéressants et précieux, même, si comme l’a très justement remarqué son excellence Isabelle Dumont, le sujet de la guerre est resté omniprésent. Toutefois, y était également invité, pour prendre la parole, Vadym Omeltchenko, président de l’Institut Gorchénine. Loin d’être sa première intervention en France, en tant qu’ « expert indépendant », ses propos n’étaient pas dans la ligné des opinions prépondérants au seins de la société civile et réseaux d’experts ukrainiens. Ceci s’explique peut-être par la proximité de son institut avec les oligarques ukrainiens, notamment Firtach, M. Omeltchenko étant lui même un ancien manager de Interpipe, société de l’oligarque Victor Pintchouk.
Pour conclure, l’Ukraine reste un pays largement méconnu pour la très grande majorité des Français, mais aussi, pour leur élites politiques et intellectuelles. Ceci laisse souvent le terrain libre à toutes sortes de manipulations. Une erreur d’appréciation assez fréquente pendant l’Euromaidan, mais aussi de l’époque post-Maïdan, est de négliger la structure complexe de la société ukrainienne. Le dynamisme de la société civile et le conservatisme des oligarques, toutes les deux étant des forces importantes, fait qu’elles sont antagonistes sur un grand nombre de points. Si en Ukraine, la compétition de ces deux acteurs majeurs reste assez équitable, voir en faveur du premier, le second a des capacités de lobbying beaucoup plus importantes vis à vis des acteurs extérieurs. Par conséquence, il est primordial pour ceux qui veulent comprendre l’Ukraine de tenir compte de cela, et pour ceux qui veulent aider les Ukrainiens de bien choisir qui soutenir.
1 réponse to “Les lobbyistes des oligarques ukrainiens en France”
2016-07-13
Ukraine: au-delà de la guerre ? - InformNapalm.org (Français)[…] L’insitut Gorchenine, dont ce dernier est Président est surtout connu en Ukraine pour sa proximité avec l’oligarque Firtach. Dans ce contexte, il n’était pas surprenant de l’entendre poser la question, si […]