« Tout ce que je veux, c’est revenir dans mon école. »
Elle s’appelle Valeria et au premier abord, c’est une fille de 14 ans comme les autres. Valeria est née et a grandi à Stanytsya Louhanska, une petite ville située à 25 kilomètres de Louhansk, encore récemment associée uniquement aux Cosaques qui l’ont fondée au XVIIe siècle dans les forêts sur les bords de la rivière Severskiy Donets. Mais il y a deux ans, la vie de Valeria, comme la vie des autres enfants de Stanytsya Louhanska, a basculé de manière radicale. Désormais, cette petite ville entourée d’arbres en fleurs est connue comme l’un des points les plus chauds de la zone de l’opération anti-terroriste à l’Est de l’Ukraine. Les affrontements les plus acharnés ont eu lieu ici depuis le tout début de la guerre. Les habitants de la ville s’y sont habitués et parlent des bombardements comme de choses habituelles et quotidiennes.
Oui, au premier abord, Valeria est une fille comme les autres. Mais cette fille comme les autres a un rêve peu ordinaire pour une adolescente de son âge. Elle rêve de revenir dans son école. Peu d’enfants dans le monde rêveraient de revenir dans leur école. Mais Valeria en rêve, comme tous les autres élèves de l’école №2 de Stanytsya Louhanska. Avant, ils avaient une école, mais, un jour, elle a tout simplement disparu. En septembre 2014, le bâtiment de leur école a été entièrement détruit par des GRAD, ces systèmes de lance-roquettes multiples russes. Tout ce qui en reste : des murs calcinés et un toit effondré. Les élèves ont été partagés : une partie suit les cours dans la crèche et l’autre dans un petit bâtiment à un étage, la rédaction du journal local « Le temps ». Malheureusement, l’État n’est pas prêt à financer la construction d’un nouveau bâtiment, alors la direction de l’école, avec des bénévoles de Kiev recherchent des mécènes qui pourraient assurer aux enfants la possibilité de faire leurs études dans des conditions normales et non pas dans les pièces étroites de la rédaction.
Aujourd’hui, c’est une journée très importante : les enfants enregistrent une vidéo dans laquelle ils demanderont aux dirigeants européens de les aider à reconstruire leur école. Valeria est la première à parler et elle est visiblement stressée. Elle comprime constamment ses mains moites. L’adolescente n’a pas l’habitude de parler en public, même si elle a tous les atouts pour devenir une vraie star : elle est dotée d’une oreille parfaite et d’une voix très agréable, calme, mélodieuse comme celle d’un rossignol. Son professeur et les bénévoles l’invitent à chanter. Valeria est gênée, secoue la tête, rougit, serre encore plus ses mains, et puis enfin commence à chanter une belle chanson traditionnelle ukrainienne.
Malgré son talent exceptionnel, la jeune fille ne rêve pas de la scène. Ce qu’elle préfèrerait, c’est d’aller à l’université à Kharkiv, pour apprendre le français et devenir traductrice. Et, Valeria veut voyager, voir le monde. Par exemple aller à Paris. Est-ce que la petite fille de Stanytsya Louhanska, dont la vie depuis deux ans s’écoule sous les rugissements des mortiers, saura réaliser son rêve ? Nous espérons qu’elle le fera et qu’un jour, elle verra de ses propres yeux la Tour Eiffel et Notre-Dame de Paris. Le monde est ouvert à ceux qui croient en leur rêve. Et qui sait, peut-être qu’un jour, elle sera sur la scène de l’Opéra de Paris ?
Quoi qu’il en soit, le souhait le plus cher de ces enfants reste leur nouvelle école. Valeria raconte : « Notre école était la seule dans tout le quartier. Si on ne la reconstruit pas, les élèves devront aller à pied dans une autre école qui se trouve bien loin et le chemin est dangereux, car il traverse la forêt tout près de la ligne de démarcation ». La directrice de l’école est encore plus pessimiste : « Si notre école ne se remet pas à fonctionner, la ville mourra. D’autant plus, que beaucoup d’habitants ont déjà quitté la ville pour un territoire sécurisé ».
En 2015, les élèves en fin d’études y sont venus afin d’écrire sur les pavés de la cour, jonchée de verre et de pierres, « Promotion 2015 ». À une vingtaine de mètres de ces inscriptions, il y a un petit bosquet et une rivière qui coule. Cette rivière est une frontière naturelle, le territoire contrôlé par les séparatistes commence de l’autre côté de la rivière.
« Un pont fragile entre deux univers »
À Stanytsya Louhanska se trouve aussi le seul point de passage pour les civils de toute la région de Louhansk, entre le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien et la soi-disant République populaire de Louhansk, un pont fragile entre deux univers, dont l’existence est constamment menacée à cause des violations du cessez-le-feu par les séparatistes. Ces jours-là, juste avant les Pâques orthodoxe, le point de passage est encore fermé, il y a une semaine, deux civils y ont été blessés. Rien à dire, ce point de passage est vraiment le symbole de Stanytsya Louhanska : un territoire entre la guerre et la paix, entre la vie et la mort.
La ville est entourée de forêts, un autre symbole de cette guerre qui fait rage sur cette terre depuis deux ans. Les habitants de la ville et les militaires ukrainiens appellent ces bois « Stalingrad » : ici, les arbres sont morts, brûlés et déracinés, eux aussi sont des victimes de cette guerre.
Quelque part ici, se trouve un char des séparatistes détruit. Là des bunkers sont creusés dans la terre. On ressent la proximité du front dès l’approche du check-point. On ne peut pas discuter librement ou plaisanter avec des soldats, comme avec ceux qui gardent les check-points près de Slovyansk et Lysytchansk. Ici, les soldats sont sérieux, ils portent des gilets pare-balles et des casques, leurs Kalachnikov sont prêtes à tirer. Les séparatistes peuvent ouvrir le feu à tout moment. Les soldats vérifient soigneusement les passeports, demandent à ouvrir les coffres des voitures. Quelques centaines de mètres seulement séparent ce check-point des positions des séparatistes.
Sur le point de passage pour les civils entre le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien et la soi-disant République populaire de Louhansk, l’ambiance est encore plus tendue. Depuis quelques jours, il est fermé à cause des tirs constants. Il est impossible même de s’en approcher : les soldats ne le permettent pas. Ni le badge de bénévole, ni la carte de presse n’aident. Un des soldats explique : « Les alentours du point de passage sont la cible des snipers. Il y a deux semaines, deux civils ont été blessés ici. Nous ne pouvons pas vous laisser passer ».
Pour les citoyens ukrainiens qui ont eu malheur de vivre dans les territoires occupés, ce point de passage est le seul chemin vers la liberté. Ils le traversent pour voir leurs proches, pour recevoir leurs prestations sociales, pour acheter de la nourriture. Les laisser sans possibilité de sortir des territoires occupés signifie les condamner à mourir de faim.
L’oeuf de Pâques fait son chemin de Stanytsya Louhanska jusqu’à Lviv
Même dans les temps difficiles de la guerre, les habitants de Stanytsya Louhanska continuent à soutenir et à développer les traditions culturelles et historiques de l’Ukraine. En avril 2016, juste avant les Pâques orthodoxes, le Conseil des professeurs du district de Stanytsya Louhanska a initié l’action « L’oeuf de Pâques fait son chemin de Stanytsya Louhanska jusqu’à Lviv ». Cette action menée avec la participation des élèves de la ville, incluait une initiation à la peinture sur les œufs (pyssanke), le concours du plus bel œuf peint et une exposition des œufs peints dans le musée de la ville. L’objectif de cette action était de soutenir cette belle et ancienne tradition ukrainienne de Pâques, mais aussi de tisser des liens d’amitié avec d’autres petits Ukrainiens. Le point culminant de cette action a été l’échange des œufs de Pâques avec d’autres écoles ukrainiennes, y compris, des écoles de Lviv, Soumy, Odessa, Poltava et Oujgorod. Selon les organisateurs de l’événement, les enfants ont été très contents d’y participer et leurs parents ont aussi approuvé cette action. « Cette action a été suivie par les enfants de toutes les écoles de Stanytsya Louhanska, nous sommes heureux qu’ils aient soutenu cette idée et se soient vraiment donnés à fond ».
La directrice du Conseil montre avec fierté le travail des élèves : les œufs de Pâques en bois peint, décorés avec du strass et des applications et les paniers de paille. Dans leurs réalisations, les élèves utilisent souvent les couleurs jaune et bleu du drapeau national de l’Ukraine.
Le soutien des ONG internationales aide à survivre
Alors que le gouvernement ukrainien essaie depuis deux ans d’élaborer une stratégie de politique sociale pour les habitants des territoires près du front, ces derniers ne peuvent compter que sur les bénévoles et les représentants des ONG internationales. À titre d’exemple, pour les fêtes de fin d’année, tous les élèves de l’école de la ville de Chtchastia sur la ligne de front ont reçu en guise de cadeau un cartable, rempli de fournitures scolaires offert par l’UNICEF. Cette même organisation a offert le matériel nécessaire pour 10 salles de classe aux élèves de l’école du village de Nijneteple.
Nina est retraitée, elle vit dans le quartier où se trouve l’école détruite. Tous les proches de Nina sont partis : certains en Russie, certains sur le territoire sécurisé de l’Ukraine. Et elle est restée vivre dans sa petite maisonnette, seule avec Linda, un berger allemand abandonné par ses maîtres et récupéré par Nina il y a 6 mois. Elles essaient de survivre toutes les deux, une femme et sa chienne, dans cette ville où la nuit est éclairée non par des lanternes, mais par les lueurs des explosions.
Nina est née et a vécu toute sa vie à Stanytsya Louhanska sans pratiquement quitter la ville, comme la plupart des habitants des petites villes et des villages du Donbass. Pour eux, déménager dans une autre ville est comme déménager dans un autre pays. C’est très difficile mentalement et financièrement aussi, car leurs petites maisons et parcelles de terrain, c’est tout ce qu’ils ont. Certains ont la chance d’avoir des familles aisées dans d’autres régions, qui sont prêtes à les accepter. Et ceux qui n’en ont pas ? Que peuvent-ils faire ? Où aller ? Personne ne les attend, hormis les bénévoles prêts à leur fournir toute l’assistance possible, mais ils ne peuvent assurer aux déplacés ni des logements ni des emplois. Et l’État ukrainien n’a pas été préparé fournir de l’aide aux gens que la guerre a chassés de leurs maisons.
Par cette journée ensoleillée d’avril, Nina a essayé de terminer son travail à la maison au plus vite en raison d’un événement très important : La Croix Rouge va distribuer de l’aide humanitaire aux habitants de Stanytya Louhanska. Cette fois-ci, cette aide ne comprend pas de vêtements chauds ou de médicaments, mais d’autres choses très importantes pour les habitants et les résidents des maisons privées. Aujourd’hui, cette organisation internationale distribue des semences, des pommes de terre, des outils agricoles nécessaires aux personnes vivant grâce à leur jardin. Ceux qui planteront maintenant des pommes de terre, des oignons et d’autres légumes auront de quoi vivre cet hiver.
Ici, à Stanytsya Louhanska, comme partout dans le Donbass, la vie est divisée en un avant et un après. La vie paisible et la vie après le début de la guerre. Bien entendu, la vie avant la guerre n’était pas très simple non plus, mais au moins, les gens avaient confiance dans l’avenir. La guerre a détruit les vies, les espoirs et les rêves de beaucoup de gens, tout comme elle a détruit les maisons et les écoles. La guerre a criblé de mines les champs et les forêts du Donbass et a fait de chaque jour un combat pour survivre. Ceux qui sont restés vivre ici ne rêvent que d’une seule chose : la paix, qui s’est avérée si fragile.
Olena Gorkova pour l’Ukraine Crisis Media Center. InformNapalm remercie l’UCMC pour l’autorisation de republication (Lien vers l’article original)