
La communauté internationale de renseignement InformNapalm grâce aux données CYBINT, obtenues du groupe de hackers ukrainien 256 Cyber Assaut, a mené une enquête et dénoncé un schéma de contournement des sanctions. Cette opération a permis de faire échouer l’approvisionnement en équipements sous sanctions critiques pour le complexe militaro-industriel russe. Grâce à des informations interceptées auprès des Russes il a été découvert que ce schéma de contournement des sanctions était organisé par la société russe « ЕМТ », qui commandait des équipements européens sous sanctions via la société indienne « Park Controls & Communications » et réglant les paiements en roupies via Sberbank India. La partie indienne était impliquée dans ce complot criminel avec les Russes et tentait de tromper le fabricant européen en assurant que l’Inde est l’utilisateur final et que les marchandises ne parviendraient pas à la Russie. Dans cette fraude, les Indiens envoyaient aux Russes non seulement des équipements sous sanctions et les clés de programme correspondantes, mais transmettaient également en double toutes leurs correspondances avec les fabricants européens. Cependant, grâce aux documents obtenus par 256 Cyber Assaut et à l’enquête menée par InformNapalm, une opération spéciale a été réalisée, permettant d’informer les fabricants européens sur les actions frauduleuses de la société indienne et d’empêcher toute utilisation ultérieure de ces équipements par les Russes. Cette action a permis de bloquer un canal l’approvisionnement considéré comme prioritaire, pratique et fiable par les Russes, et d’empêcher l’utilisation d’équipements européens d’une valeur de plusieurs millions d’euros.
La société russe « EМТ » et l’indienne « РСС »
Nous vous invitons à découvrir l’acteur principal de ce schéma : la société à responsabilité limitée russe « ЕМТ ». Selon son site officiel, ЕМТ a été créée en 2000 par Olena Mour et représente en Russie plus de 20 entreprises étrangères. D’après des sources ouvertes, ЕМТ assure l’approvisionnement de divers équipements et technologies utilisés dans les essais terrestres et aériens de l’industrie aérospatiale, navale, automobile et électronique et autres.
Au cours de l’année écoulée, grâce à une longue opération CYBINT et HUMINT et à une fuite de données impliquant son directeur général Nikolay Ludin, nous avons pu surveiller et dévoiler un schéma d’approvisionnement en équipements pour les usines de défense russes, d’une valeur de plusieurs millions d’euros. Le 30 octobre 2024 cette société a été placée sous sanctions par les États-Unis.
Malheureusement, ces sanctions n’ont pas empêché la société indienne Park Controls and Communications Private Limited (PCC) de poursuivre ses affaires avec les Russes. De plus, ni la société russe ni la société indienne ne cachaient leur implication dans le complexe militaro-industriel. Par exemple, la liste des clients de PCC comprend le ministère de la Défense et les forces aériennes indiennes. Son site officiel indique :
« РСС a développé une gamme diversifiée de produits, incluant des systèmes de collecte de données télémétriques, des systèmes de chronométrage de haute précision et divers composants destinés aux forces armées terrestres, navales et aériennes. РСС a rapidement acquis une bonne réputation grâce à son approche tournée vers l’avenir et sa capacité d’adaptation aux exigences spécifiques du secteur de la défense. Nous espérons créer un héritage de confiance, de collaboration et de progrès, qui continuera d’inspirer et d’élargir les opportunités pour l’industrie et le pays ».
En réalité, la « fiabilité » de cette société indienne s’est traduite par son opportunisme et sa volonté de tirer profit d’une guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, incluant des actes terroristes en Europe.
IRCOL COLLIMATOR
En septembre 2023 la société anonyme russe « Zenit-Investprom » (basée à Krasnogorsk) a commandé à EМТ l’approvisionnement en équipements étrangers et services associés pour un montant de 59 millions de roupies indiennes. Le paiement a été effectué via Sberbank India, directement en roupies.
Il est important de noter que « Zenit-Investprom » appartient au conglomérat russe « Shvabe », placé sous sanctions américaines dès 2015, et qui fait lui-même partie de la corporation d’État russe « Rostech ». Même avant l’invasion à grande échelle, la plupart des entreprises de Rostech étaient impliquées dans des commandes de défense.
L’équipement en question est le banc de collimateur IRCOL Collimator, fabriqué par la société française HGH Infrared Systems. Comme indiqué sur son site, « Les collimateurs IRCOL sont des équipements de test pour la caractérisation et la validation des performances d’une large gamme de systèmes électro-optiques : caméras visibles à infrarouge, jumelles de vision jour/nuit et télémètres laser« .
La société française ne vend pas cet équipement à la Russie. C’est pourquoi ЕМТ a utilisé l’Inde comme intermédiaire. Voici les acteurs principaux du schéma de contournement:
- a) Client – une société russe, qui entre dans un conglomérat de défense russe (« Zenit-Investprom ») ;
- b) Fournisseur – une société russe EMT sous sanctions américaines;
- c) Intermédiaire – une personne morale indienne, qui déclare directement, qu’il est un fournisseur pour les besoins de la défense de l’Inde (PCC Pvt. Ltd.).
- d) Produit – un équipement sous sanctions d’origine française, qui est appliqué pour la vérification d’appareils de vision nocturne et de caméras thermiques.
Le schéma de contournement:
L’intermédiaire indien (PCC) commande le collimateur auprès du fabricant français HGH Infrared Systems. L’équipement devait être livré aux Russes avant la fin juin 2024. Toutefois, des retards dus à un problème technique détecté lors des essais ont modifié le calendrier de livraison. InformNapalm a suivi les correspondances entre les parties impliquées. PCC transmettait aux Russes toutes ses communications avec le fabricant français, à leur insu. Voici une lettre РСС sur ЕМТ:
Dans l’annexe à cette lettre, la partie indienne joignait avec diligence ce que les Français lui écrivaient (bien sûr, à l’insu de ces derniers) :
Toute cette correspondance confidentielle, accompagnée des traductions officielles en russe, était ensuite transmise par EМТ à ses clients de « Zenit-Investprom ». La version complète de la lettre : 20240515-3942 [PDF]
En décembre 2024, après deux reports des délais de livraison, les Russes ont finalement reçu l’équipement vendu par la partie indienne. Cela s’est produit après l’imposition de sanctions américaines contre EМТ. Ainsi, la РСС indienne était pleinement consciente des risques et a délibérément poursuivi ses relations selon un schéma illégal. Ce fait est confirmé par une lettre ultérieure de EМТ, dans laquelle les Russes écrivaient :
« En raison des sanctions visant la société EМТ, il existait un risque pour le fournisseur indien d’expédier le Produit de l’Inde vers la Russie. Cependant, à la suite du déplacement du directeur de la société EМТ en Inde du 10 au 13 novembre 2024, tous les obstacles empêchant l’expédition ont été levés. »
Voici l’ordre de mission du directeur général de EМТ, Ludin, pour son déplacement en Inde, où il a convaincu la partie indienne de participer à un schéma illégal de contournement des sanctions.
Voici également une facture attestant du transport d’équipements sous sanctions par la compagnie aérienne russe « Volga-Dnepr », de Bangalore à Moscou.
Enfin, Ludin joignait aux correspondances et à la documentation une photo de l’équipement. :
- La version complète des documents: 20241203-3942 [PDF]
Comme nous l’avons déjà établi plus haut, la РСС indienne était parfaitement consciente que le fournisseur français respectait les sanctions imposées à la Russie. Malgré cela, sa direction a sciemment mis en place une escroquerie en se déclarant elle-même comme utilisateur final de l’équipement. De plus, les représentants de la société indienne ont fourni des conseils pour le réglage de l’équipement, déjà installé en Russie, sur le site de la société anonyme « Krasnogorodskiy Zavod imeni S.A. Zvereva » pour « Zenit-Investprom ».
Cette implication est confirmée par une lettre du 16 janvier 2025, dans laquelle les Russes écrivaient :
« Étant donné que le fabricant se trouve en France, le fournisseur de l’équipement est PARK CONTROLS & COMMUNICATIONS (P) LTD., en Inde (qui est également l’utilisateur final déclaré auprès du fabricant). À ce titre, la société nous a désigné son Directeur Technique, M. MP Sastri, pour assurer la correspondance et organiser le support technique, sur la base des informations que nous lui avons transmises concernant les défauts de l’équipement. »
LA POSITION DU FABRICANT
En possession de toutes les preuves, documents et correspondances, et après avoir suivi le déplacement de l’équipement, nous avons officiellement sollicité un commentaire du fabricant français du banc de collimateur, la société HGH Infrared System. Le fabricant a réagi rapidement à notre requête, répondant avec précision à nos questions. À la lumière des faits et des preuves croisées issues des correspondances entre les parties russe et indienne, il ne fait aucun doute que HGH Infrared System respecte scrupuleusement le régime de sanctions et a agi de manière appropriée face à la situation.
Par respect pour la partie française, nous ne dévoilerons pas l’intégralité de nos échanges avec eux, mais nous nous limiterons au commentaire officiel du porte-parole de HGH Infrared System :
« HGH prend très au sérieux ses obligations au regard de la législation en vigueur. Nous ne vendons pas nos produits en Russie et exigeons de toutes les tierces parties avec lesquelles nous faisons affaire de respecter cette exigence. En ayant appris qu’un client pouvait violer les conditions de vente, nous avons mis fin à nos relations commerciales avec lui, faute de preuve du contraire. »
Original:
A spokesperson for HGH Infrared Systems said: « HGH takes very seriously its obligations under applicable laws. We do not sell our products to Russia and require all third parties with whom we transact to adhere to this requirement. On learning that a customer may be in breach of the terms of sale, we have terminated our relationship with the business given they could not provide evidence to the contrary ».
En complément de cette déclaration, l’analyse de la réaction des Russes nous a permis de confirmer que la partie française applique strictement les sanctions, et que ses affirmations reposent sur des preuves documentaires concrètes. Le 4 mars 2025, nous avons reçu une lettre de la société russe EMT adressée à son client « Zenit-Investprom », dans laquelle le fournisseur se plaignait d’un prétendu « défaut » d’équipement. En réalité, la clé de licence provisoire du banc de collimateur avait expiré, empêchant les Russes de finaliser son réglage. Les représentants d’EMT précisaient alors :
« Le fournisseur [PCC – note InformNapalm] craint avec raison que le fabricant (HGH, France) ait des soupçons concernant l’utilisation finale de l’équipement livré en Inde. En conséquence, le fournisseur demande son retour afin de le présenter au représentant indien de la société française sur le territoire du fournisseur, à Bangalore, en Inde. »
L’attitude la plus cynique dans cette affaire réside dans la réaction de la partie indienne. Consciente d’avoir été dénoncée pour violation de ses obligations contractuelles, elle n’a pas mis fin à sa coopération avec les Russes. Au contraire, elle a cherché à élaborer de nouveaux stratagèmes pour tromper à nouveau le fabricant. Les deux parties (russe et indienne) ont sérieusement envisagé de retourner l’équipement en Inde afin de le présenter aux représentants de HGH, en prétendant qu’il « n’avait jamais quitté l’Inde ». Une fois la supercherie validée, ils prévoyaient de débloquer l’installation et de la renvoyer ensuite en Russie.
La société russe EMT examinait plusieurs scénarios :
- Renvoyer l’intégralité de l’équipement en Inde.
- Ne renvoyer que l’ordinateur contenant le logiciel afin d’y réinstaller une clé de licence.
- Tenter de contourner le problème directement en Russie.
Sur ce dernier point, il est intéressant de noter la position russe, citée dans leur correspondance :
« Cependant, une telle approche risquerait d’entraîner une rupture des relations commerciales avec Park Controls & Communications, et par conséquent, de compromettre la capacité de la société EMT à s’approvisionner en équipements en provenance de pays ‘non amicaux’ via ce fournisseur fiable. Une telle rupture serait très indésirable, tant pour notre organisation, qui a plusieurs contrats prometteurs pour la fourniture d’équipements destinés aux entreprises de défense russes, que pour les futurs achats de SAT « KMZ » en matière d’équipements d’essai opto-électroniques. Quant au fournisseur indien, il s’expose au risque de restrictions imposées par les pays ‘non amicaux’. »
Ainsi, selon les affirmations des Russes, la société indienne Park Controls And Communications Private Limited est pour eux un fournisseur FIABLE d’équipements provenant de pays dits « non amicaux », c’est-à-dire ceux qui appliquent les sanctions contre la Russie. De plus, Park Controls And Communications Private Limited continue à exécuter plusieurs contrats STRATÉGIQUES pour la défense russe. Quels sont-ils exactement ? Par souci de sécurité opérationnelle, nous ne révélerons pas ces informations publiquement pour l’instant.
- La version complète de la lettre des Russes : 3942_Письмо об устранении неисправностей [PDF]
EPILOGUE
Au cours de cette enquête, vous avez pu analyser vous-même des faits et documents concrets démontrant que la société indienne Park Controls And Communications Private Limited viole délibérément les sanctions contre la Russie.
Nous souhaitons obtenir de leur part un commentaire officiel sur plusieurs points :
- Leur rôle dans l’approvisionnement de la Russie en équipements interdits.
- Leur coopération avec l’entreprise sous sanctions ЕМТ.
- Une réaction de leur directeur technique, M. MP Sastri, concernant ses consultations avec la partie russe.
D’après la documentation en notre possession, il existe un équivalent israélien à l’équipement français : il s’agit des systèmes de la société CI Systems. Si la Russie ne parvient pas à régler ses problèmes avec le collimateur français, il est probable qu’elle se tourne vers ce fournisseur israélien.
D’autant plus que, selon Ludin, un collimateur METS-S (fabriqué par CI Systems) est déjà présent à Moscou, au sein de l’entreprise Société par actions « NPO Orion », mais n’a pas été utilisé depuis 2022.
Enfin, un dernier élément révélateur : la société ЕМТ (sous sanctions) affiche ouvertement sur son site un catalogue des équipements de CI Systems:
Nous espérons sincèrement que notre enquête servira d’avertissement à tous les fournisseurs de bonne foi : collaborer avec la Russie met en péril à la fois leur activité et leur réputation. Quant aux fournisseurs malhonnêtes, qu’ils soient indiens ou issus d’autres pays, et qui tentent de contourner les sanctions en trompant les fabricants, ils doivent garder à l’esprit une chose essentielle : leurs manœuvres peuvent toujours être mises en lumière, que ce soit par les hackers ukrainiens ou par les spécialistes du renseignement OSINT et HUMINT.
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