
C’est le premier assassinat politique d’une telle envergure dans la Russie post-communiste. Mais, certainement, pas le dernier.
Douleur, impuissance, compassion envers les proches, parce qu’ils n’ont personne pour partager leur chagrin, même si des millions de gens leur présentent leurs condoléances. Ceux qui ont connu Boris Nemtsov mieux que moi, lui rendront un plus ample hommage. Je l’ai rencontré une seule fois, dans les années 90, si sereines, par rapport à nos jours. Beau, ouvert, léger. Un peu naïf, ce qui faisait son charme. Il ne manquait de rien pour s’adapter, vivre bien, sans soucis. Mais il a choisi un autre chemin, s’est entêté et a continué jusqu’au bout.
À présent, il est devenu symbole.
Il est trop tôt pour élaborer des versions, émettre des hypothèses, faire des évaluations . La situation va changer toutes les heures. Et, en même temps, il ne se passera rien de spécial . La vie va continuer. Tout passe, ça passera également. Mais cet événement va laisser des traces, des traces très profondes, ineffaçables. Encore une entaille dans le tronc du pouvoir. Combien il y aura de ces entailles avant que le tronc ne soit démoli? Des milliers, des millions, comme durant le siècle passé. Ou bien une ou deux entailles suffiront, car le tronc est pourri de l’intérieur, depuis longtemps. Un pas de plus vers le chaos.
Paradoxalement, ce n’est pas si important pour l’Histoire de savoir qui a fait ça. Si, c’est important du point de vue de la morale et de la justice, mais pas du point de vue politique. Parce que le pouvoir pourra bien désigner un assassin (celui qui, au sens large du terme, a exécuté cet acte, celui qui en a donné l’ordre, ceux qui servaient des maillons de cette chaîne politique complexe) mais personne ne croira ce pouvoir. Même, s’ils disaient pour une fois la vérité. Ce régime a tellement trempé dans les mensonges durant les 10 dernières années, il est tellement compromis que sa parole ne vaut plus rien. Dans la société, où la propagande remplace entièrement l’information, la différence entre la vérité et le mensonge n’existe plus. Le pouvoir qui crie trop souvent « Au loup! » n’inspire pas la confiance.
On peut me contredire : « La société, c’est qui ? » Les fameux 84% n’apercevront pas ce qui se passe, et même s’ils s’en aperçoivent, ils croiront, sans se poser de questions, à la version officielle du meurtre qui leur semblera la plus confortable . Le problème est que cette « majorité agressive et docile » ressuscitée des cendres de l’Histoire, n’est pas la société. Ce sont les déchets de l’Histoire. Quand une meilleure époque viendra, et elle viendra inévitablement, vu que les lois de la nature ne peuvent pas être abolies, cette majorité, avec le même enthousiasme, soutiendra la version proposée par les autres 16%, contraire à celle d’avant.
Boris Nemtsov reviendra alors, mais dans un autre tournant de l’histoire russe. Et bien sûr qu’il reviendra, il n’y a pas de doute, quelle que soit la version de son assassinat que le pouvoir russe nous servira prochainement. Est-ce le signal de commencer les répressions ? Dans tous les cas, le pouvoir vertical est à l’agonie. En fin de compte, cet assassinat n’est que la représentation extérieure du chaos profond qui règne au sein des structures du pouvoir et du chaos dans les têtes des élites dirigeantes. C’était évident pour ceux qui comprenaient comment fonctionnait le pouvoir russe de nos jours. À présent, ce sera évident pour bien plus de gens. La maladie de ce régime s’est manifestée par une horrible éruption sanglante. Effectivement, la Russie est ingérable. La main gauche ignore ce que fait la main droite. Personne ne se sent en sécurité. C’est le règne de la violence et de l’arbitraire.
Nemtsov a été tué clairement un jour sacré et dans un lieu sacré. Vingt ans après l’assassinat de Listiev, deux jours avant la marche de opposition, à quelques centaines de mètres de la résidence de Poutine. C’en est trop, même pour la Russie. D’ordinaire, les dirigeants des services secrets doivent présenter leur démission, après un tel échec. Or, la Russie est dirigée par une caste d’intouchables qui n’a pas le temps de penser à ces détails. Ils voient les choses globalement : comment changer la Constitution pour se débarrasser des références au Droit international ?
Quoi qu’il se passe en Russie, quel qu’en soit l’écho terrible, personne, jamais, ne sera désigné responsable, sauf les simples exécutants.
Texte original « Novaya Gazeta »
Traduction de Viktoria Mait. Révision par Marc de la Fouchardière
2 Réponses to “Il est trop tard pour se lamenter, Boris Nemtsov a été assassiné”
2015-03-04
Victime de la politique de Poutine, Boris Nemtsov était un homme courageux et intègre selon des Moscovites | Laconnectrice's Weblog[…] https://informnapalm.org/fr/il-est-trop-tard-de-se-lamenter-boris-nemtsov-est-assassine/ […]
2015-05-12
Les principales thèses du rapport qui a coûté la vie à Boris Nemtsov - InformNapalm.org (Français)[…] que Boris Nemtsov a été tué en plein centre de Moscou. Plusieurs pensent que ce meurtre est lié à son enquête sur les crimes de Poutine contre […]