InformNapalm propose à ses lecteurs une étude analytique intéressante de l’expert de la sécurité de l’information du groupe Résistance de l’information Vyacheslav Goussarov Il lève le voile sur le montant que la Russie dépense annuellement, d’après ses calculs, dans la guerre contre l’Ukraine.
La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine n’est que partiellement menée avec des armes traditionnelles, des fusils, des chars et des mitrailleuses. Dans les coulisses des hostilités, il y a aussi une forte composante information de l’agression russe.
Le document ci-dessus laisse volontairement de côté l’approvisionnement militaire lié à des mesures d’information, les complexes de guerre électronique et de brouillage radio militaires, les imprimantes pour l’impression des tracts ou les appareils de simulation des stations de relais mobiles qui ont envoyé aux soldats ukrainiens des SMS provocateur, etc.
Essayons donc d’agréger tout ce que la Russie dépense annuellement pour les actions d’information dans le but d’entretenir la guerre au Donbass.
Nous tenons à dire d’entrée que nous considérerons l’ensemble du spectre d’influence dans les mesures de communication mis en œuvre en Ukraine par la Fédération de Russie. Nous n’excluons pas d’avoir oublié certains détails parce que ce spectre est assez large. Notre objectif est de donner une estimation globale de la guerre de l’information de la Russie, dans le cadre de l’occupation des territoires du Donbass, ainsi que de l’expansion de l’information russe en Europe.
Commençons par les fournitures militaires aux forces terroristes russes dans le Donbass :
a) moyens de radio russes pour la guerre électronique observés dans la zone de l’ATO :
– 3 systèmes de combat radio-électronique RTUT-BM (Code 1L262E, pour étouffer les lignes de communication et les émetteurs électriques dans la plage de fréquence de 95 à 420 MHz) –> 70 millions de roubles pièce ;
– système de guerre électronique Krasucha-4 (Code 1RL257 pour protéger les territoires contre la détection radar, ainsi que pour neutraliser l’action des avions radars à longue distance et des drones) –> 258 millions de roubles ;
– système Borisoglebsk-2 (Code RB-301B, pour la reconnaissance et la neutralisation des systèmes mobiles et connexion sans fil dans la plage de fréquence de 1,5 à 1000 MHz) –> 500 millions de roubles ;
b) moyens de reconnaissance radio observés dans la zone de l’ATO : système de reconnaissance radio Torn –> 100 millions de roubles;
– système de drones Orlan 10 (avec le système Leer-3 à bord pour neutraliser le système mobile GSM) –> 336 millions de roubles ;
c) moyens de lutte psychologique observés dans la zone l’ATO :
distribution de flyers et de journaux –> 10 millions de roubles par an (0,2 million de dollars).
Soutien aux mouvements idéologiques pro-russes dans le Donbass occupé (Donbass libre, République de Donetsk, Oplot, Paix pour Louhansk, Nouvelle Russie, Sud-Est, Union économique de Louhansk et autres) –> environ 80 millions de roubles par an.
Soutien des médias pro-russe régionaux :
a) TV (Luhansk-24, Nouvelle Russie TV, 1ère Chaîne de télévision de la République, Oplot TV, UNION-DVR, AR TV) –> environ 180 millions de roubles par an ;
b) canaux internet « 1ère chaine DVR-TV, InformBureau, Forces patriotiques du Donbass, Newsfront et autres –> environ 5 millions de roubles par an ;
c) retransmission du bouquet de la télévision et de la radio fédérales –> 2 millions de roubles par an ;
d) presse (21ème siècle, Journal municipal, Voix du peuple et autres) –> environ 1 million de roubles par an ;
e) soutien aux médias électroniques (lugansk-online.info, novorosinform.org, komitet.net.ua, dnr.today, rusvesna.su et autres) –> environ 1 million de roubles par an.
Il est facile de calculer que les dépenses annuelles du budget fédéral de la Russie pour les mesures d’information pour la propagande du séparatisme au Donbass avoisinent les 274 millions de roubles par an (5,5 millions de dollars américains).
La valeur de l’équipement militaire transporté sur le territoire de l’Ukraine depuis la Russie représente 1,4 milliard de roubles (25 de millions de dollars).
En dehors de la guerre dans le Donbass, la Russie mène aussi une campagne d’information dans l’espace de l’information européen. La diversité des méthodes d’influence et l’étendue de leur application suffit pour illustrer que les intentions du Kremlin sont claires : former une opinion pro-russe en Europe et l’utiliser comme une plate-forme d’information dans l’intérêt de sa propre politique étrangère.
Commençons par dire quelques mots sur le système russe d’influence des médias :
a) La Compagnie nationale de radio-télévision russe CNRT (chaînes de télévision Rossia-1, Rossia-2, Rossia-24, RTR-Planeta, EuroNews ; les projets Internet Rossia, Vesti.ru, Strana druzeï, Digitalrussia.tv, Strana.ru et autres) a dépensé 52,9 milliards de roubles (1,3 milliard de dollars) en 2014. Il y a quelques mois, a été ouverte en Crimée avec le soutien de la CNRT la compagnie nationale de télévision et radio publique tatare de Crimée qui comprend également la chaîne de télévision Millet et la station de radio Vatan Sedasy. D’après des estimations approximatives, le budget de VGTRK pour 2015 s’élève à environ 55 milliards de roubles, dont 12,2 milliards de roubles pour le programme spécial de formation d’un image objective de la Russie à l’étranger et 3,5 milliards de roubles de plus pour assurer l’activité internationale;
b) L’Agence internationale d’information Russia Today (RT, Ruptly, Internet Studio Spoutnik, RIA Novosti, Ria.ru et autres) a augmenté ses dépenses de 41% par rapport à 2014. Cela est lié à l’ouverture d’un bureau RT à Londres et avec le lancement de chaînes de télévision de 24h/24 en français et en allemand. En outre, l’agence a avalé La Russie d’aujourd’hui et la rédaction de la station de radio La Voix de la Russie, et elle a fusionné avec RIA Novosti. Selon les chiffres officiels :
– le budget de RT en 2014 est d’env. 500 million de dollars ;
– le budget de RIA Novosti et de l’agence Sputnik s’est élevé en 2014 à près de 4,5 millions de dollars.
Selon plusieurs sources, le montant total des moyens du groupe média Russia Today en 2015 s’élève à 650 millions de dollars.
c) La première Chaîne de Russie. Elle a fondé La première chaîne de la Baltique, avec des versions en letton (PBK Lettonie), en estonien (PBK Estonie) et en lituanien (PBK Lituanie). En outre, la première chaîne de la Baltique paie un canal sur la base d’un contrat avec la société suédoise SES la transmission du signal par le satellite et le raccordement aux réseaux de télévision par câble des États baltes.
Pour tous ces objectifs, la première chaîne a reçu de la Russie 150 millions de dollars. Le même budget a été approuvé pour 2015 et un financement supplémentaire de 3,5 milliards de roubles (environ 64 millions de dollars) pour compenser la perte de valeur du rouble ;
d) Le financement de la holding Gazprom-Media (chaînes de télévision NTV, TNT, la chaîne satellitaire NTV-Plus, la station de radio City-FM, Ekho Moskvy, Avtoradio, 101.ru ; la maison d’édition Siem dneï ; les studios de cinéma NTV-Kino, Central Partnership ; les portails Internet RuTube, now.ru, etc.) est assurée par la société Gazprom. Gazprom-Media élargit actuellement son portefeuille avec de nouveaux canaux. D’après des estimations approximatives, son budget annuel devrait être d’environ 300 millions de dollars.
e) Le Natsionalnaïa Media Gruppa (NMG) se positionne comme une société holding de médias purement privés. Il comprend la chaîne de télévision Piaty Kanal, REN TV, LifeNews TV ; le journal Izvestia, le site Internet LifeNews.ru et le studio Russkaya Sluzhba Novosteï ;
Le groupe est financé par ses sponsors Soga (entreprise), la banque Rossia et Sourgoutneftegaz. Le groupe détient une participation de 49% dans la chaîne LifeNews, qui est cofinancée par Surgutex. D’après des estimations approximatives, le budget annuel est d’au moins environ 300 millions de dollars.
f) Russia beyond the headlines est un projet international de Rossiyskaya Gazeta, dont les articles apparaissent régulièrement gratuitement en 16 langues, en version imprimée ou sous forme électronique, comme supplément aux journaux les plus célèbres du monde, notamment le Washington Post (USA), New York Times (Etats-Unis), le Daily Telegraph (Royaume-Uni), Le Figaro (France), Süddeutsche Zeitung, Economic Times (Inde), Folha de Sao Paolo (Brésil), La Repubblica (Italie), JoongAng Ilbo (Corée du Sud), China Business Nouvelles (Chine), etc. Rossiyskaya Gazeta finance le projet, dont le budget équivaut à environ 10-12 millions de dollars.
Dans l’ensemble, le Kremlin dépense donc 2,626 milliards de dollars par an pour son système d’influence des médias.
Les médias de communication Internet tels que les réseaux sociaux et les communautés en ligne jouent un rôle majeur.
Les réseaux sociaux russes odnoklassniki, VKontakte (VK) et Moï Mir ainsi que le moteur de messagerie Mail.ru Agent, y compris le service ICQ appartiennent depuis 2014 à la société russe Mail.Ru Group. En principe, c’est une plate-forme Internet sociale.
Le groupe Mail.Ru est dirigé par l’oligarque proche du Kremlin Alisher Usmanov avec une participation de 45 pour cent. Le budget annuel est de 50 millions de dollars.
Dans le domaine de la cyber sécurité et d’Internet, le Kremlin exerce son influence via les canaux bien connus ci-dessous :
Kaspersky Labs travaille en conformité avec les intérêts du FSB ;
Le projet Cyberberkout, qui reprenant le nom de la sulfureuse police d’intervention ukrainienne Berkout est un groupe de hackers russes qui forcent et publient le contenu de différents comptes sur Internet. Selon certaines informations, l’organisation est un projet des services secrets russes.
Divers départements chargés de la cyber sécurité au sein du FSB, des ministères de l’Intérieur et de la Défense et d’autres organismes sont financés dans le cadre de leurs budgets respectifs.
Au total, le budget des groupes de pirates informatiques russes est d’environ 100 millions de dollars par an.
En outre, il existe en Russie une organisation ramifiée de ce qu’on appelle les trolls de l’internet, qui publient des messages formatés sur les réseaux sociaux. Les bureaux sont situés dans différentes villes en Russie : Olgino (Saint-Pétersbourg), Iablonovski (République d’Adygée), Perekatnyi (République d’Adygée), Selionyi (région de Nizhnyi Novgorod), Belgorod, Riazan, Khabarovsk, Kaliningrad et autres. La plus connue de ces organisations est la compagnie Internet-Issledovania (« Recherche sur Internet ») de Saint-Pétersbourg. D’après des calculs approximatifs le cout salarial des 3 000 employés dans les réseaux sociaux serait au total de 1,8 milliard de roubles (32,4 millions de dollars).
Le budget pour les activités Internet est donc de 132,4 millions de dollars.
Le système russe de formation de l’opinion publique est composé de l’institut national de recherche (WZIOM), de l’agence de recherche Eurasian Monitor du service sociologique Fond de l’opinion publique, du centre analytique Levada et d’autres organisations.
Ces organisations forment la base pour la formation de l’opinion souhaitée sur la base des sondages d’opinion. En Ukraine, le WZIOM a été actif lors de la préparation du « référendum en Crimée » de 2014 et des « élections » en Crimée occupée.
Afin d’augmenter la crédibilité des enquêtes, une filiale a été ouverte spécialement, l’Institut républicain de l’étude de l’opinion politique et sociale en Crimée, qui a été cité dans l’annonce des résultats du plébiscite. À l’été 2015, sont apparus presque en même temps dans les « républiques populaires » de Louhansk et Donetsk deux centres d’études sociologiques, avec le même nom : « Ossobuy status » ce qui signifie statut spécial et fait allusion au statut très discuté du Donbass. Les centres dictent l’opinion dans les territoires occupés.
Les activités des institutions russes pour formation de l’opinion ont été maintes fois remarquées à l’étranger quand il s’agissait de la publication d’enquêtes dans les médias nationaux.
Le budget du Kremlin pour effectuer des enquêtes avec un résultat désiré et pour maintenir ses propres organisations de sondages d’opinion sur le territoire non-reconnu est estimé à environ 100 millions de dollars américains.
L’opinion publique nationale à l’étranger est principalement influencée par l’Agence fédérale pour l’emploi de la CEI, une autorité russe pour la coopération ainsi que des ressortissants russes vivant en dehors de Russie. L’autorité se compose d’un réseau de bureaux dans 80 pays.
L’autorité russe pour la coopération relève du ministère des Affaires étrangères. Selon les documents officiels près de 330 millions de dollars ont été consacrés en 2013 à des mesures d’application de « soft power » à l’étranger. On peut supposer que les dépenses afférentes engagées en 2014 n’ont pas changé. En 2015, les projets de l’autorité pour la coopération ont vu leur budget augmenter de 2 milliards de roubles (36 millions de dollars). L’objectif est d’accroître l’influence de la langue russe.
En outre, l’opinion publique et le climat politique et économique à l’étranger est façonnée par des institutions civiles et à travers les activités de fonds gouvernementaux qui agissent comme des organismes publics. La tâche de ces fonds gouvernementaux est de faire connaître la culture, l’histoire et la politique russe au public étranger. Parmi les plus importants de ces fonds, mentionnons :
- L’organisation publique « Fonds monde russe »‘. Son objectif est de populariser la langue, l’histoire et la culture dans les différents pays. Les bailleurs de fonds pour le compte de la Fédération de Russie sont le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Éducation et de la Science. L’organisation est active dans tous les pays européens et de la CEI. Le budget annuel du Fonds est estimé à 750 millions de roubles. S’y ajoutent 10 millions de roubles pour une chaîne de télévision en ligne et les stations de radio Monde russe (soit un total de 15,2 millions de dollars).
- L’ONG « Fonds Gorchakov pour le soutien à la diplomatie publique » travaille sur l’amélioration de l’image de la politique de la Russie à l’étranger. Le bailleur de fonds est le ministère des Affaires étrangères. L’organisation soutient les médias imprimés et les médias électroniques et offre également un soutien financiers, méthodologique et organisationnelle aux organismes russes à l’étranger. Le Fonds Gorchakov continue de soutenir le projet « Diplomatie du peuple » dédié à l’espace post-soviétique. Le fonds reçoit 55 millions de roubles (1,1 million de dollars) chaque année.
- L’organisation à but non lucratif « Conseil russe des affaires internationales dans le domaine de la politique étrangère et des relations internationales ». Il est subordonné au Ministère des affaires étrangères, au ministère de l’Éducation et de la Science de la Fédération de Russie, à l’Académie des sciences de Russie, à l’Association des industriels et entrepreneurs de Russie et à l’Agence d’information « Interfax ». Elle est un instrument de diplomatie publique et de « soft power » de la Russie en Europe et dans le monde. Sa tâche est d’établir une certaine opinion publique et d’évaluer l’attitude des élites à l’égard des intérêts russes. Chaque année, l’organisation reçoit environ 5 millions de dollars.
- L’ONG « Fonds perspectives historiques » a été fondée dans le but de financer les deux rejetons de l’Institut pour la Démocratie et de la Coopération à Paris et à New York. L’Institut en tant que tel se concentre sur la diffusion des idées russes et soutient l’exécution de la politique étrangère russe sur les questions de relations internationales, géopolitique, histoire et médias. Le budget annuel est d’environ 3 millions de dollars.
Ainsi, les dépenses annuelles de Moscou pour influencer l’opinion publique et officielle à l’étranger s’élève à environ 390 millions de dollars.
L’influence sur les auditoires à l’étranger par le biais de mouvements nationalistes et ultra radicaux est réalisée en établissant des canaux de communication individuels avec les organisations publiques-politiques européennes. Ceci comprend les partis suivants : Front National (France), UKIP et BNP (UK), AfD (Allemagne), Jobbik (Hongrie), Latvijas Krievu Savienība (Lettonie), Ataka (Bulgarie ), Forza Italia (Italie), etc. Beaucoup de ces partis ont des députés dans les parlements nationaux et au Parlement européen. Le Kremlin a financé non seulement leurs activités politiques et des campagnes électorales, mais aussi les médias d’information associés, tels que les journaux et les chaînes de télévision.
On peut classer clairement dans la même catégorie les tentatives du Kremlin de positionner les motards moscovites du mouvement « Les loups de nuit » à l’étranger. L’objectif clair est de trouver des gens partageant les mêmes idées à l’étranger et d’établir de nouveaux canaux de communication dans le sens des intérêts politiques russes.
D’après des estimations approximatives, le Kremlin consacrerait à ces mouvements pas moins de 200 millions de dollars.
De cette façon, Moscou utiliser la gamme complète des outils de la guerre de l’information pour ses campagnes d’information, de l’ingénierie militaire au Donbass jusqu’aux méthodes de « soft power » pour interagir avec l’opinion à l’étranger.
Dans l’ensemble, la Russie dépense chaque année 3,5 milliards de dollars.
Si vous considérez que la machine à information de la Russie a tourné à plein régime au cours des trois dernières années, les paroles du représentant américain Dan Mica ne sont pas déplacées. Il avait parlé de neuf milliards de dollars, ce qui passe bien dans ce schéma des dépenses de la Russie pour la guerre de l’information.
Les informations concernant les coupes dans le budget pour les médias en 2016 doivent être considérées comme ce qu’elles sont : une illusion. Un tel ensemble ne peut pas s’arrêter aussi rapidement. En outre, les programmes de propagande ne sont pas terminés, mais simplement suspendus. La fin des programmes a été tout simplement avancée « pour cause d’économies budgétaires ».